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j’y prêtais l’oreille aux échos de cette fête de la Fédération du 14 juillet 1790, débauche, restée jusque-là sans pareille dans l’histoire, de fraternité attendrie. Ce sont les mêmes termes exaltés : « Nous goûtons un nectar divin… » « Quel bienheureux vertige ! » Les « libérés » sont portés à croire que la nature entre dans ce concert : le ciel sourit ; il « devait sourire. » il est vrai que l’on s’écrie devant moi : « Cela ne rayonne pas du ciel, mais de la terre. » Un Alsacien me déclare que les avions, qui survolent çà et là les cortèges, le contrarient, détournant l’attention : « On n’a plus besoin pour le moment de regarder le ciel : il est sur la terre ! »

Ou ne cesse de répéter le mot du maréchal Pétain à l’Hôtel de Ville de Strasbourg : « Un million et plus de Français sont tombés pour que l’Alsace-Lorraine redevînt française. » Déjà un adjoint lorrain, de Dieuze, je crois, rappelant le fait devant lé général Mangin, avait ajouté pieusement : « Nous tâcherons tous de nous rendre dignes de ce sacrifice. » L’amour pour la France s’en trouve décuplé. Il se traduit par des cris dont la constance stupéfie ; des gamins d’Alsace ne savent que trois mots de français : « Vive la France ! » Je n’exagérerai pas en disant qu’ils les crient mille fois par jour. L’un d’eux m’étant venu prendre la main avec une sorte de câlinerie, je lui dis : « Comment t’appelles-tu ? » Il me regarde et répond : « Vive la France ! » et le fait est qu’ils s’appellent maintenant tous « la France. »

Que de cet amour universel, l’amour, tel que romanciers et poètes le chantent en leurs écrits, ait jailli, comment s’en étonner ? Voici, en marge de l’épopée, les romans d’Alsace qui s’ébauchent. L’un en face de l’autre, le soldat français né galant, et la jeune Alsacienne, la jeune Lorraine, sentent naître, dans cette atmosphère d’ivresse, des sentiments qui parfois vont loin. Maurice Barrès, dans un article charmant, a cité le cas de fiançailles instantanément conclues ; ou bien le flirt, au contraire, s’arrête à la première page, mais avec un caractère délicieux de grâce, parfois presque pudique. Un jeune artilleur me dit : « Jamais de ma vie je n’ai reçu autant de baisers qu’à Mulhouse lors de notre entrée et, à la fin de l’après-midi, mes camarades et moi nous nous sommes trouvés en face d’une bande de jeunes filles si jolies que nous nous sommes enhardis à les inviter à dîner. Elles nous ont répondu qu’elles