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du chœur où le chanoine Braun de Freundeck entonne le Te Deum : « Nous vous louons, ô Dieu, et nous vous reconnaissons pour le souverain Seigneur... Saint, saint, saint le Seigneur Dieu des armées... La brillante armée des martyrs célèbre vos louanges... Seigneur, sauvez votre peuple et bénissez votre héritage... » Les hauts oriflammes ‘tricolores pendent de la voûte, frémissent sous le souffle puissant de l’orgue et des voix.

Et les souvenirs passent comme des chevauchées de guerriers ; Condé, Villars, Broglie, Louis XIV, Napoléon, les maréchaux de tous les régimes jusqu’à l’heure où, l’admirable cathédrale fermée à nos actions de grâces, et les actions de grâces nous étant partout interdites, on ne fit plus de maréchaux de France. Tout ressuscite à la gloire, car Dieu a fait sentir son bras.

Cohue magnifique à la sortie ; on marche littéralement sur les commandants d’armée. Sous le porche, longtemps, attendant sa voiture, l’un des grands soldats, un des plus beaux, un des plus nobles de la Grande Guerre, est entouré, acclamé. « Qui est-ce ? me demande-t-on de toute part. — Le vainqueur de la Somme, le commandant des trois armées qui ont livré la grande bataille dernière, Fayolle. — Vive Fayolle ! Vive Fayolle ! » Et si Gouraud, à son tour, s’aperçoit, (pour qui Strasbourg a maintenant les yeux de Chimène pour Rodrigue) : « Vive Gouraud ! » Voici le joyeux commandant du 2e corps, le général Philippot. « Où est votre Quartier Général, mon général ? — - A Reichshoffen ! — A Reichshoffen ! Vous avez l’air de trouver cela très naturel. C’est admirable. — Mais je trouve cela très naturel. »

Le « Grand Quartier » tout entier avait accompagné le maréchal commandant en chef et partait avec lui dès le soir. Ce dut être pour ces officiers l’impression d’un rêve, — ces six heures de soirée, — entre le Te Deum de la cathédrale et le départ du train spécial, car Strasbourg derechef entrait en joyeux délire : ce fut la soirée du 22 avec quelque chose de plus magnifique, cortèges enrubannés, rondes folles, bals improvisés sous les énormes drapeaux, sous les guirlandes fleuries, sous les girandoles de flammes, à la lueur des torches, au son des musiques ; chaque soldat a derechef Suzel à un bras, Liesel à l’autre, et je vois un général qui ne laisse pas ses soldats lui en remontrer sur ce point non plus que sur aucun autre.

Mais quelle aimable galanterie : un sentiment très doux,