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aux sourires, la flamme des regards au mouvement inspiré des bras, la minute où libérateurs et libérés chantaient avec « la Liberté chérie » l’ « Amour sacré de la Patrie » et la chute de « l’étendard sanglant de la tyrannie, » cette minute était si solennelle que nul n’était plus tenté d’estimer emphatiques ou ampoulées les traditionnelles paroles du chant de guerre de 1792.

C’est qu’à cette heure, Strasbourg participait très précisément, — et tous ceux que la ville embrassait, — à l’état d’esprit de la Révolution. C’était, ce 22 novembre, un jour où se mariaient la force et l’amour, la vengeance satisfaite et la reconnaissance éperdue, la haine des tyrans et de folles espérances ; en cet état d’esprit je trouvais tout à la fois celui de 1789 et celui de 1792 ; il y avait dans les embrassades émues et parfois. frénétiques, qui confondaient les classes et les rangs, des ressouvenirs de la Fédération et, dans le feu qui courait dans les veines, des reflets des grandes guerres libératrices dont le Rhin avait vu passer les ardents bataillons. Il y avait aussi le sentiment que la France, une fois encore, venait d’accomplir ses destinées deux fois millénaires, puisque, sur les ailes tout à la fois de la victoire et de l’amour, elle atteignait les bords du Rhin, et qu’un grand destin, peut-être pour toujours, s’achevait. Un sentiment religieux, d’un ton. peut-être moins grave qu’à Metz, se mêlait à ce soulèvement des âmes. Devant le vieil empereur renversé, ce bronze brisé, ce socle vide, on était tenté de chanter le « Deposuit potentes de sede » ; et peut-être le texte primitivement évangélique du Ça Ira :


Ça ira, ça ira,
Suivant les préceptes de l’Évangile,
Celui qui s’abaisse on l’élèvera,
Celui qui s’élève on l’abaissera.


Brusquement, pour donner un commentaire pratique à ce refrain, nous pénétrâmes dans le palais impérial. Si ç’avait été pour la satisfaction de nos yeux et de notre goût, ç’eût été grande erreur, car tout y est fort laid. Mais c’était simple prise de possession : le rapide passage à travers ces appartements impériaux ressemblait à la brusque et dédaigneuse promenade d’un conquérant. Puis, le cortège, sortant du palais, se porta, à travers une foule prodigieusement soulevée, à la mairie où