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alsaciens. C’était par milliers qu’ici ils se comptaient ; noirs, simplement ornes de la cocarde où brodés richement d’une gerbe de coquelicots, marguerites et bleuets, écarlates ou chamarres de mille couleurs, ils dominaient la foule de leurs coques énormes et y mettaient un chatoiement ailé. Le reste des atours augmentait ce chatoiement, fichus multicolores, corsages pailletés, jupes vertes, rouges, brunes ou orange, tabliers de soie brodée, — sans parler des minois eux-mêmes, figures où, du front aux lèvres, éclatait une joie franche, où tout riait, des yeux aux dents. Ces bataillons d’Alsaciennes étaient descendus avec nous, entre la haie des soldats impassibles, comme un fleuve tumultueux entre des rives de granit, se heurtant à ce bord immobile et remplissant, jusqu’à le déborder parfois, le lit qui lui était préparé. Que nos bleuets du 25e petits Bretons ou Normands, restassent tous impassibles devant le flot chatoyant qu’ils contenaient, je ne le jurerais pas : il me parut qu’ils souriaient tout doucement, mais sans broncher autrement : ils entendaient donner de la discipline et de la tenue françaises une « riche idée » à la capitale alsacienne.

Près de la porte, le fleuve s’épandait en une nappe magnifique : déjà, tant l’impatience d’acclamer était grande chez ces jeunes personnes, les mouchoirs s’agitaient avec de grands cris devant les officiers descendant comme nous du centre vers le faubourg ou au contraire précédant par groupes le général Gouraud vers la place ci devant de l’Empereur.

Soudain, du faubourg, des sons se firent entendre, des fanfares et, par-dessus la tête des musiciens, on aperçut, derrière l’escorte de spahis, le général Gouraud, sur son cheval bai.

Il avait revêtu l’uniforme khaki d’Afrique, entendant indiquer par là qu’il était, même en ce jour, soldat en campagne : seule, la plaque d’argent mettait son éclat mat sur cette tunique si simple. Ce fut un mouvement d’étonnement dans la foule : « Comme il est jeune ! » Le général est bien le plus jeune de nos commandants d’armée, mais en outre ses yeux bleus, où semble se jouer un rêve, et sa longue et mince barbe châtain, donnent à sa physionomie quelque chose de singulier et d’imprévu, et la foule en restait saisie et d’ailleurs séduite. La manche droite vide pendant le long du corps entraînait par ailleurs une émotion profonde et attendrie. Tel quel, il était