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LES MERVEILLEUSES HEURES
D’ALSACE ET DE LORRAINE

III [1]
L’AIR DE LA LIBERTÉ


LES ENTRÉES DE STRASBOURG

L’Alsace était, en ces jours singuliers, traversée de mille nouvelles : chaque jour apportait une surprise. Je courais à Colmar et voici qu’à Molsheim je me heurte, — dès l’aube du 22, — à un camarade qui me dit : « Comment Colmar ! Il s’agit bien de Colmar ! L’armée entre aujourd’hui même à Strasbourg, — deux jours plus tôt qu’on ne pensait. On nous y précipite en camions. » On pense si je pouvais balancer.

L’entrée à Strasbourg ! Que de fois bien avant, pendant la guerre et depuis l’armistice même, j’y avais rêvé ! « Il y faudrait, me disais-je, un temps de choix, un ciel d’azur, un soleil d’or, des troupes d’élite, un général illustre auréolé de la plus pure gloire et de belle prestance ; il y faudrait aussi, il y faudrait surtout, je ne dirai point l’Alsace dans la fête de son amour, — de cela je ne saurais douter, — mais amenée par les circonstances à en connaître et à en manifester la plénitude. » Or, dès l’aube, je roulais vers Strasbourg par un temps de choix, sec et lumineux, sur la terre durcie par une gelée qui givrait les arbres de la plaine, sous un ciel d’un bleu charmant

  1. Voyez la Revue des 15 février et 1er mars.