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La détermination agressive de l’Allemagne avait amené son Haut Commandement à commettre une faute telle qu’aucun maître dans l’art militaire, — c’est-à-dire aucun homme de bon sens, — ne s’y serait laissé entraîner : la violation de la neutralité belge. L’Allemagne, dans son aveuglement sur sa supériorité de puissance, croyait être en mesure de décider du sort de la guerre en six semaines. Mais, pour cela, il fallait gagner Paris par le chemin le plus court, c’est-à-dire par Bruxelles. Ses armées prirent donc cette voie. Par cette détermination, impie et folle à la fois, elle s’attirait deux adversaires : la Belgique, qui lui barra la route, et l’Angleterre, qui se jeta, tout de suite, corps et âme, dans une lutte où elle ne fût entrée que plus tard, — trop tard !

L’invasion de la Belgique par la rive gauche de la Meuse surprit certainement le Haut Commandement français. Ses propres plans s’en trouvèrent atteints. M. Viviani a dit, à la tribune de la Chambre des députés, que le premier projet français comportait un recul de vingt-cinq kilomètres au Sud de la frontière [1].

Il est avéré que, jusqu’à une époque très voisine du conflit, on avait accepté, en France, l’idée d’une manœuvre défensive-offensive ayant pour objet d’attirer l’ennemi à une bataille de la Fère-Laon-Reims. Telle était la conception initiale de la » Bataille des Frontières ; » elle se fût livrée sur le territoire national [2].

M. Etienne, ancien ministre de la Guerre, a fait observer toutefois, à propos de la discussion soulevée à la Chambre et dans la presse au mois de février dernier, au sujet du recul de dix kilomètres, que « longtemps avant la guerre, la conception de

  1. Cette déclaration est très importante ; il faut la combiner avec cette autre déclaration émanant également de M. Viviani, dans une lettre à M. Paul Cambon, publiée par le Livre jaune n° 106 : « Notre plan, conçu dans un esprit d’offensive, prévoyait pourtant que les positions de combat de nos troupes de couverture seraient aussi rapprochées que possible de la frontière. » M. Viviani applique seulement à la région de Briey la déclaration relative au recul fixé, originairement, à 25 kilomètres. La proximité de la place de Metz explique les mesures spéciales prises relativement à la Woëvre. — Cf. la Note du Grand Quartier général du 17 août, publiée dans Violation des lois de la guerre par l’Allemagne, publication du Ministère des Affaires étrangères. 1915, p. 25.
  2. Le général Langlois, qui fut un oracle « de l’avant-guerre, » pensait que notre mobilisation et notre concentration seraient en retard sur la mobilisation et la concentration allemandes : il ajoutait que, par suite, nous étions obligée de laisser à l’ennemi, dès le début de la guerre, un territoire de 15 à 20 kilomètres de large. Voyez dans l’Histoire illustrée de la guerre de 1914, t. VII, p. 2, les conséquences que le général Langlois tirait de ces principes.