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laquelle notre sensibilité même met son reflet. Ses données, c’est notre esprit qui les formule et c’est lui qui les interprète. Et cette tâche n’est plus seulement celle de la raison raisonnante : tout l’être y participe. — Rien de plus simple que cette distinction qui rend à César ce qui appartient à César : elle suffirait à supprimer bien des discussions stériles ; mais j’ai souvent pensé que ceux qui bataillent autour de la science avaient avantage à ne pas se comprendre les uns les autres s’ils ne voulaient en être réduits à cesser le combat. L’exemple de Pasteur en est la meilleure preuve. Nul ne professa plus âprement que la science est souveraine tant qu’elle reste sur ses terres, et nul ne se montra plus intransigeant sur les droits d’une vérité qui n’admet aucune atténuation. Mais personne n’aima plus passionnément sa patrie ; personne n’éprouva plus de pitié pour la souffrance humaine, et cette pitié, robuste et efficace, contraste avec les vains apitoiements d’une sensiblerie, inutile quand elle n’est pas dangereuse. Personne enfin ne crut plus sincèrement à la bienfaisance de la religion.

M. Sacha Guitry a eu l’idée, au premier abord un peu déconcertante, de tirer de la Vie de Pasteur une pièce de théâtre, ou plutôt de découper le livre en tableaux. On sait qu’il s’est fait une spécialité de la biographie des grands hommes adaptée à la scène. Nous lui devons déjà un La Fontaine et un Deburau : le Pasteur continue la série. Je m’empresse de reconnaître qu’il ne s’est pas cru à l’égard de l’illustre savant les mêmes droits dont il avait usé et les mêmes libertés qu’il avait prises avec le bon La Fontaine et le funambulesque Deburau. Il s’est fait une règle de suivre de tout près le texte de M. Vallery-Radot et de n’intervenir qu’avec une discrétion infiniment louable. Comme tout le monde en a fait la remarque, on dirait une grande image d’Épinal. Je goûte infiniment l’imagerie d’Épinal et je suis sûr qu’elle valait beaucoup mieux pour l’éducation des simples que notre moderne dévergondage cinématographique. Les intentions de M. Sacha Guitry furent excellentes et je suis heureux de le reconnaître. Il ne s’est proposé d’être qu’un annaliste fidèle et un pieux imagier. Seulement, cette biographie dialoguée, ou cette image découpée, c’est quand même au théâtre qu’on nous la présente. Le théâtre a ses lois, ses exigences, une manière et des effets qui lui sont propres. Il peut être intéressant de montrer comment, par le seul fait d’être mise au théâtre, la physionomie vraie d’un Pasteur se trouve continuellement faussée.

C’est M. Lucien Guitry qui tient le rôle de Pasteur. Le fils a composé