Page:Revue des Deux Mondes - 1919 - tome 50.djvu/218

Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

Magny-la-Freule : une douceur et une finesse normandes apaisent le tumulte des idées. Un pareil embrouillement, M. Pierre de La Gorce le montre ailleurs, en d’autres régions où les âmes ont diverses manières de réagir. Et c’est un des mérites de son Histoire : il n’a pas cantonné la Révolution française à Paris ; il l’a examinée dans les provinces, dans les petites villes, les bourgs et les campagnes, où elle offense plus ou moins les traditions et les coutumes, où elle flatte les passions nouvelles ou anciennes et où ses résultats sont le produit de ce qu’elle apporte et de ce qu’elle trouve. Normands, Périgourdins, Provençaux, Vendéens et Lorrains n’avaient ni la même piété, ni la même routine, si l’on veut, ni le même attachement au passé, ni le même entrain vers l’avenir et le même goût de cette illusion d’avenir, le changement. Partout la Révolution qui survenait mit le désordre dans les consciences. Et enfin, cet embrouillement, il se manifesta jusque dans l’âme des prêtres et des religieux, jureurs ou non, transigeants et même intransigeants.

L’analyse de ces âmes-là, M. Pierre de La Gorce l’a faite avec un sens aigu de la vérité, avec l’indulgence la plus délicate et avec le bon désir de comprendre. Il faut de la bonté, pour comprendre les autres âmes : l’inimitié est un empêchement.

Or, les prêtres jureurs ou assermentés ont manqué à leur fidélité religieuse. et puis, ils commencent un schisme. Enfin, dans les communes où la Révolution les nomme curés, que sont-ils ? Usurpateurs. Dans une petite commune, arrive le curé assermenté. Le district a signalé aux autorités communales sa nomination, sa venue prochaine. Les officiers municipaux, le plus souvent, se dérobent, se disent malades ou très occupés, ne l’installent pas ou bâclent dédaigneusement la cérémonie de l’installation. « Dans la paroisse qui sera la sienne, nul ne vient au-devant de l’assermenté. Pour lui nul n’a sonné les cloches, nul n’a pris soin de parer l’autel. Le presbytère lui est livré vide, comme une demeure qu’on aurait dépouillée avant de la livrer à l’ennemi. Pour le servir, pour l’aider, personne ne s’offre ; et une mise en quarantaine, à la fois calme et terrible, crée un vide inexorable entre ses paroissiens et lui. Cependant, avant son départ, les autorités du district lui ont indiqué deux ou trois maisons où la porte s’ouvrira pour lui. Là habitent des fermiers, des ménagers, récents acquéreurs de biens monastiques, délégués des clubs ou délateurs attitrés. C’est là que le pauvre prêtre va prendre langue, un peu timidement, un peu honteusement : car il garde, malgré tout, le souvenir de son ordination sacrée... » Voilà le prêtre ;