semé de fantaisie comme l’ont imaginé Horace et Montaigne, ou encore le vague des passions indéfinies, ou l’entretien mélancolique des souvenirs. »
Habemus confitentem… Quand on apporte en naissant une disposition de cette nature, elle vous suit partout, elle se mêle à tout, elle transforme et, parfois, dénature, tous les gestes de la vie. À leur insu, et de la meilleure foi du monde, ceux qui sont nés écrivains mettent un peu de « littérature » dans leurs sentiments les plus naturels, dans leurs démarches les plus spontanées. À Dieu ne plaise que je prétende que Lamennais n’ait point aimé, réellement aimé d’amitié, Benoit d’Azy ou Mme Cottu ! Mais quand il leur écrivait à l’un ou à l’autre, le poète, — ou le romancier, — qu’il avait failli être reprenait ses droits et lui dictait de fort belles pages, un peu montées de ton, et qu’on aurait peut-être tort de prendre pour l’expression tout à fait adéquate de ses sentiments intérieurs. Le don littéraire a ceci de dangereux, qu’il peut aisément conduire, si l’on n’y prend garde, à une demi-insincérité morale. Nos sentiments, quand nous voulons les exprimer, ne nous apparaissent plus à l’état pur en quelque sorte, mais à travers l’écran d’une imagination qui les déforme. Les écrivains classiques, toujours en défiance contre les « puissances trompeuses, » veillaient jalousement à ce que leurs paroles ne trahissent pas leur pensée, n’en fussent que le clair et fidèle miroir, et, parfois même, — voyez leurs correspondances, — ils ne disent pas tout ce qu’ils ont dans l’âme, et la pudeur de leur sensibilité se communique à leur style. Les romantiques ont changé tout cela. Loin d’en réprimer les écarts, ils obéissent docilement aux suggestions de leur sensibilité, de leur imagination surtout, et le style, au lieu de leur être un moyen de traduire scrupuleusement leurs impressions naturelles, ou même de les atténuer, leur en est un, au contraire, de les amplifier, de les dramatiser sans mesure. Il faut toujours en rabattre de leurs propos, même les plus intimes. À cet égard, Lamennais était bien de son époque. Four le juger avec clairvoyance et avec équité, il faut toujours songer que l’homme en lui était double d’un poète.
C’est sans doute pour ne l’avoir pas fait qu’on s’est formé de Lamennais, — surtout depuis la publication de sa Correspondance, — une idée quelque peu romantique, et qui est assez loin de correspondre à l’exacte réalité. Une âme très tendre, et