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a été tout ce qu’elle devait être ; ne regrettez rien, le jour de la justice viendra, et aussi celui du bonheur… Ayez confiance, Dieu vous protège, il veille sur vous. » Peu après, elle rêve de conserver pour ami le très galant homme qu’elle n’a pu épouser. Lamennais l’en dissuade, et avec une sévérité tempérée d’affection, la rappelle à une notion plus haute, plus vraiment chrétienne de son devoir : « Il faut que vous vous vainquiez, il le faut absolument, Dieu le veut. Je vous le demande en son nom, je vous en conjure à genoux. Soyez vous, c’est-à-dire résolue à tout ce qu’il y a de bon, de noble, d’honorable et de saint, quoi qu’il vous en doive coûter. N’altérez pas votre image au fond de mon cœur. » On n’aurait le droit de suspecter ce langage, d’y voir comme un retour offensif d’égoïsme masculin que s’il n’était pas de tous points conforme à celui… de l’abbé Desjardins.

Dira-t-on que l’abbé Desjardins devait .s’exprimer sur un ton moins lyrique et moins chaleureux ? Cela est, en effet, assez vraisemblable. Mais le style, on le sait, n’est pas toujours l’homme, et le ton d’une lettre n’est pas toujours exactement révélateur des sentiments qu’elle paraît exprimer. Des cœurs secs ont le style aisément passionné, et des âmes tendres se dissimulent parfois sous une forme verbale incolore et impersonnelle. Nous étions tentés de trouver tout à l’heure qu’il y avait autre chose que de la simple amitié dans tels ou tels passages des lettres de Lamennais à Mme Cottu ? — « Il est l’heure où je te voyais ordinairement, et ce bonheur n’est plus qu’un souvenir, et bien des jours se passeront encore avant que mon pauvre cœur repose sur le tien. » — « Les lieux où lu nés pas me paraissent un désert. Je te dis ceci, parce qu’il me serait impossible de ne pas te dire tout ce qui se passe en moi. » Quel est l’amoureux qui parle ainsi ? C’est Lamennais encore ; et, cette fois, ce n’est pas à une femme qu’il s’adresse ; c’est à un ami qu’il ne connaît que depuis deux ou trois mois par l’intermédiaire de Mme de Lacan, Denys Benoit, plus connu sous le nom de Benoit d’Azy. Et à cet ami tout récent, qui a quinze ans de moins que lui, Lamennais écrit presque tous les jours, sur un ton d’exaltation extraordinaire : « Par où avais-je mérité de te connaître, d’être aimé de toi ? Ton amitié est un don tout gratuit de la Providence. Quand elle me refuserait la consolation de te revoir en ce monde, ne devrais-je pas encore