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l’auteur d’un pareil livre. Il s’intéressa à cette âme généreuse et ardente que sa parole avait touchée et ramenée à l’exacte pratique religieuse ; et une vive amitié se noua entre eux. Que Lamennais n’ait pas été insensible au charme qui se dégageait de cette jeune femme aimable, intelligente et belle, c’est ce qui est tout naturel et trop évident. À en juger même par le ton et le texte de certaines des lettres de Lamennais, on pourrait croire, avec un pénétrant critique, savant et ingénieux amateur d’âmes religieuses, M. Alfred Rebelliau[1], qu’un sentiment plus tendre que la simple amitié est entré dans son âme. Il est difficile, avouons-le, en lisant cette fort belle correspondance de l’auteur de l’Essai, de ne pas se dire quelquefois qu’un véritable amoureux ne parlerait pas autrement. Ils ne se connaissent pas depuis deux mois que déjà Lamennais écrit : « J’aurai l’honneur de me rendre chez vous. Ma santé, fût-elle plus mauvaise, ne souffrira pas de ce voyage, puisque je vous verrai. » Et voilà qui est, n’est-il pas vrai ? du dernier galant. Quelques jours après : « Recevez l’assurance de mes tendres et respectueux sentiments. » Et encore : « Ne craignez pas pour moi la fatigue ; il m’est utile de marcher un peu. Et puis, je penserai à vous en allant, j’y penserai en revenant ; le chemin me paraîtra bien court. » Quelques jours après : « Il me serait, madame, bien agréable d’apprendre que notre promenade d’hier ne vous a point incommodée… Un mot de vous, en me rassurant, exciterait toute ma reconnaissance. J’aurais trop à souffrir, si les moments heureux que vous m’avez procurés en avaient amené de pénibles pour vous. » Huit jours après : « Je n’ai, madame, presque ressenti aucune fatigue de ma promenade d’hier ; je revenais si content d’esprit et de cœur !… Pourquoi ne m’avez-vous point parlé de votre santé ? Vous n’oubliez rien, excepté vous-même, excepté ce qui m’intéresse le plus. » Cette lettre est du 16 octobre 1818, et la première lettre de Lamennais à Mme de Lacan est tout au plus du début d’août.

Et à mesure que l’on avance dans la lecture de cette correspondance, les expressions chaudement, tendrement affectueuses se pressent sous la plume de l’écrivain. Du 5 février 1820 : « Adieu, vous savez combien je vous aime ; jamais qui que ce

  1. Alfred Rebelliau, Une Amitié féminine de Lamennais, Mercure de France du 1er février 1911.