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qu’elle ne se prononce enfin qu’à son corps défendant, quand elle y est pour ainsi dire contrainte par les circonstances ou par les hommes. Je crois, au contraire, pour ma part, que Lamennais n’a fait tout au plus que hâter la décision pontificale ; que les questions qu’il avait soulevées étaient trop graves pour que le Saint-Siège put longtemps s’abstenir de prendre parti ; et qu’enfin les multiples dénonciations ecclésiastiques dont le directeur de l’Avenir était l’objet auraient largement suffi à faire instruire son procès.

Arrivés à Rome le 30 décembre 1831, « les pèlerins de Dieu et de la liberté, » — suivant l’expression dont s’égaie peut-être avec trop d’insistance le P. Dudon, — firent remettre au pape, par l’intermédiaire du cardinal Pacca, le doyen du Sacré-Collège, un mémoire justificatif qui avait été rédigé par Lacordaire. Grégoire XVI fit écrire par Pacca à Lamennais « une lettre de remontrances et de conseils paternels : » on louait leurs bonnes intentions et leur docilité ; mais on se plaignait de leur témérité, des divisions entre catholiques qu’ils avaient provoquées ; au demeurant, on leur laissait espérer qu’on examinerait à fond leurs doctrines, et on les engageait, en attendant, à rentrer en France. Lacordaire seul comprit, et tandis qu’il se décidait à repasser les Alpes, que Montalembert poursuivait son voyage d’Italie, Lamennais s’obstina à rester à Rome ou à la porte de Rome, « afin de fournir les explications indispensables et de répondre aux questions que l’on jugerait à propos de lui faire. » Le pape consentit à les recevoir avant leur séparation ; l’audience fut aimable, mais assez banale : « il ne fut en aucune façon question d’affaires. » De plus en plus convaincu qu’il ne pourrait être condamné et qu’il n’avait qu’à poursuivre son œuvre, Lamennais se retira à Frascati et y écrivit son livre Des Maux de l’Eglise. Mais le séjour en Italie lui pesait. Impatient de reprendre sa vie d’action, ignorant, à ce qu’il semble, qu’en ce moment même la congrégation des affaires ecclésiastiques extraordinaires examinait ses doctrines, et croyant que, parmi toutes les préoccupations présentes du Saint-Siège, on avait oublié la réponse qu’on lui avait presque promise, le fondateur de l’Avenir, accompagné de Montalembert, se remit en route dans les premiers jours de juillet 1832. Le soir du 30 août, à Munich, à la fin d’un banquet, auquel assistait aussi Lacordaire, on lui remit, par les soins de la