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Lamennais a été en relations personnelles avec deux papes, Léon XII et Grégoire XVI. C’est en 1824 qu’il fit son premier voyage de Rome. Très attaqué, très discuté, il eût été heureux de recevoir quelque marqué d’encouragement et de sympathie de la part de cette autorité suprême qu’il avait défendue avec tant d’ardeur. Léon XII, qu’il vit trois fois, le reçut avec infiniment de bonne grâce et, de l’aveu même de Féli, le « combla de bontés. » Nous ne savons pas quels propos furent échangés dans ces trois audiences ; mais le P. Dudon qui, trop visiblement, voudrait réduire à l’insignifiance les rapports du pontife et du prêtre, conjecture bien gratuitement qu’ils furent « peu importants. » Le pape aurait-il dit de l’auteur de l’Indifférence : « C’est un exalté ; » et encore : « Ce Français est un homme distingué ; il a du talent, de l’instruction, je lui crois de la bonne foi ; mais c’est un de ces amants de la perfection qui, si on les laissait faire, bouleverseraient le monde ! » Ces témoignages de deux cardinaux italiens nous inspireraient plus de confiance, si nous ne les trouvions pas dans les dépêches du chargé d’affaires de France à Rome, le chevalier Artaud, qui n’aimait guère Lamennais. Ce qui est sûr, c’est que Léon XII garda un excellent souvenir de Lamennais ; c’est qu’à plusieurs reprises il se fît donner des nouvelles de l’écrivain français par Ventura, Coriolis, et qu’il chargeait ce dernier avec insistance de « l’assurer de toute son affection ; » c’est qu’il accepta son portrait avec le plus grand plaisir, et le fit mettre à une place d’honneur dans son propre cabinet. Ce qui est sûr encore, c’est que Lamennais, et jusque dans les Affaires de Rome, a toujours parlé de Léon XII avec gratitude, avec respect et avec tendresse ; c’est qu’en 1827, probablement, il adressa au pape un Mémoire confidentiel où il lui exposait ses vues sur l’état présent de l’Eglise et de la société[1]. Est-il exact que Léon XII ait eu l’intention de créer Lamennais cardinal, et qu’il l’ait réservé in petto ? Le P. Dudon n’en croit rien ; mais sa conviction paraît surtout fondée sur le désir qu’il a que la conviction contraire soit erronée ; il discute bien rapidement, et sans apporter de preuves péremptoires, les témoignages formels de Lamennais, de Wiseman, et des Senfft. La comtesse de Senfft avait écrit à

  1. Ce mémoire, publié partiellement par Blaize, a été retrouvé dans les archives du Vatican par le P. Dudon, qui en a publié les parties inédites dans les Recherches de science religieuse de septembre-octobre 1910.