de pente, et où il risquait de s’exalter et de s’aigrir. Il aurait fallu l’encadrer, l’assujettir à une discipline extérieure, puisqu’il n’en trouvait pas une en lui-même, assagir cette sensibilité exaspérée et régler cette volonté défaillante par la contrainte salutaire d’une vie active et non pas uniquement livresque. À plusieurs reprises, dans sa Correspondance, il manifeste le désir d’entrer dans la Compagnie de Jésus, et l’on s’est, naturellement, beaucoup égayé de cette velléité restée d’ailleurs platonique. Je crains qu’ici encore la raillerie ne soit une forme de l’inintelligence. Je ne suis pas sûr du tout que la règle d’un ordre religieux n’eût pas convenu à cette nature inquiète et maladive. En tout cas, ce que l’on peut bien affirmer, c’est que, fait plutôt peut-être pour obéir que pour commander, la destinée de ce malheureux Lamennais eût été tout autre, s’il avait toujours eu à ses côtés l’abbé Jean ou l’abbé Carron.
Franchissons une quinzaine d’années. C’est le moment, décisif et douloureux, de sa rupture avec Rome. Je crois qu’il est trop tôt pour écrire avec toute la précision souhaitable ce douloureux chapitre de l’histoire morale du fougueux écrivain. D’importantes correspondances nous font sans doute encore défaut, et certains côtés de la question ne sont pas suffisamment éclairées pour qu’on puisse, en pleine connaissance de cause, décrire et juger la longue crise d’âme d’où sont sorties les Paroles d’un croyant et les Affaires de Rome. Par exemple, nous aurions besoin de savoir presque par le menu les principales polémiques qui se sont engagées notamment autour de l’Avenir et des décisions pontificales, pour bien comprendre l’exaspération croissante où elles plongèrent Lamennais. J’espère que tous ces éléments d’information seront à notre portée quand M. Maréchal en viendra à cet épisode essentiel de la vaste biographie qu’il a entreprise. En attendant, et quitte à ne pas toujours interpréter comme lui les documents nouveaux qu’il met en œuvre, on ne saurait trop remercier le P. Dudon d’avoir refait à sa manière les Affaires de Rome, et d’avoir projeté une très vive lumière sur un côté capital de la question, en étudiant ! comme il l’a fait les rapports authentiques de Lamennais avec le Saint-Siège.