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XVIIIe siècle. Félicité dévora tout ce qui lui tombait sous la main, et quoique Sainte-Beuve nous déclare qu’il n’en ait alors « rien conclu contre la religion » et que « sa dévotion continuât d’être pure, » on est bien obligé de constater, de l’aveu même de Sainte-Beuve, que ce sont ces lectures et les raisonnements qu’il y avait puisés qui firent écarter le précoce disputeur de la première communion.

Jusqu’où l’entraina cette première crise d’incroyance ? C’est ce qu’il est assez difficile de dire en l’absence de tout témoignage direct et personnel. « En 1796 ou 1797, écrit Sainte-Beuve, — il avait donc quatorze ou quinze ans, — il envoyait au concours de je ne sais quelle Académie de province un discours dans lequel il combattait avec beaucoup de chaleur la moderne philosophie, et qu’il terminait par un tableau animé de la Terreur. » On n’a pas retrouvé ce discours. Mais M. Maréchal a retrouvé un petit écrit de Robert des Saudrais, intitulé : les Philosophes, que Blaize. date de 1802, et auquel les deux frères Jean-Marie et surtout Félicité, — dans quelle mesure exacte, on l’ignore, — semblent bien avoir collaboré : c’est un manifeste contre les « philosophes, » un essai, inspiré de Rousseau et de Pascal, pour démontrer l’existence de Dieu et l’immortalité de l’âme. « L’âge des emportements et des passions survint, — écrit encore Sainte-Beuve ; — il (Félicité) le passa, à ce qu’il paraît, dans un état non pas d’irréligion (ceci est essentiel à remarquer), mais de conviction rationnelle sans pratique. Le christianisme était devenu pour le bouillant jeune homme une opinion très probable qu’il défendait dans le monde, qu’il produisait en conversation, mais qui ne gouvernail plus son cœur ni sa vie. Ce retour imparfait n’eut lieu toutefois qu’après un premier chaos et au sortir des doutes tumultueux qui avaient pour un temps prévalu. » Ces indications ne laissent pas d’être un peu vagues et obscures, et l’on voudrait bien pouvoir préciser davantage. Si l’on rapproche et si l’on essaie d’interpréter ces diverses données, voici, sur ce point délicat, ce qui paraît le plus probable. Entre 1792 et 1802. sous l’influence des « philosophes, » notamment de Rousseau, — et de l’oncle des Saudrais, — Lamennais s’est détaché du christianisme, d’abord progressivement, doucement, et comme à son insu, puis plus violemment, mais sans jamais, si je ne me trompe, dépasser, dans ses négations, celles qui