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regret à reconnaître que nul, dans le monde que la guerre nous a fait, n’est dorénavant en mesure de fonder sa sécurité sur soi seul. Soit donc : fondons-la tout ensemble sur nous-mêmes et sur ceux qui doivent penser, sentir, vouloir et agir comme nous. Mais alors, vite, que le législateur descende du Sinaï ; que la Société des Nations se dessine en un contour précis ; qu’elle sorte des nuages où Shakspeare prétend que l’on aperçoit indifféremment la forme d’une belette ou la forme d’un chameau ; qu’elle s’appuie et s’établisse sur des bases fixes et fermes ; qu’elle devienne une institution concrète et positive. Les ébauches ne manquent point, mais aucune, à notre connaissance, ne dépasse les précédents essais : l’arbitrage obligatoire, le tribunal international, du vieux neuf. Ce n’est pas assez. M, Wilson l’a déclaré : il faut rendre inévitable qu’il n’y ait, en cas d’agression, « ni doute, ni attente, ni remise. » Pour que ce soit inévitable, il faut qu’il y ait, derrière le tribunal, une gendarmerie internationale. Pour qu’il n’y ait pas de doute, il faut une armée qui soit suffisante ; pour qu’il n’y ait pas d’attente, une armée qui soit prêle ; pour qu’il n’y ait pas de remise, une armée qui soit à portée. Pesant de tout son poids sur la France seule, « le sacrifice serait intolérable. » Dans quelle proportion, en hommes et en argent, chacune des Puissances également intéressées à la paix du monde est-elle disposée à fournir cette armée et à l’entretenir ? Que donneront les États-Unis ? Que donneront la Grande-Bretagne, et l’Italie ? Que nous restera-t-il à donner ? Nous prions respectueusement M. le Président Wilson de traduire ses formules en propositions d’effectifs et de crédits. Définir la justice est de la philosophie ; la politique est de l’imposer.


CHARLES BENOIST.


Le Directeur-Gérant :

RENE DOUMIC.