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sous soi, sur soi, et devant soi encore, tout autour de soi, des réalités.

A cet égard, le discours prononcé par M. Antonin Dubost, au déjeuner que le Sénat a offert à M. le Président Wilson, vaut également d’être cité : l’accent en est à la fois discret et énergique : ce sont bien les paroles qui convenaient ; répétons-le, c’est bien là, dans le moment où nous sommes, la parole française : « Nulle part, a dit le Président du Sénat au Président de la Confédération américaine, nulle part votre magnifique ambition de substituer à l’équilibre périodiquement rompu des forces matérielles l’arbitrage définitif des forces morales ne pouvait rencontrer plus d’enthousiasme qu’en France. Mais croyez aussi que nulle part dans le monde n’est un pays qui plus que la France soit soumis à une fatalité aussi redoutable, celle de subir directement la poussée séculaire d’une race de proie, race qui semble elle-même poussée par quelque obscur, quelque ancestral besoin de migration. » Même lorsque l’ordre nouveau aura été construit selon les nobles formules du Président Wilson, même alors, cet ordre nouveau devra toujours s’appuyer sur une force quelconque dont la France sera, en définitive, la sentinelle la plus avancée et la plus exposée : « Nous croyons fermement avec vous, Monsieur le Président, a repris M. Antonin Dubost, qu’un nouvel ordre mondial, et peut-être une harmonie mondiale, sont possibles, où la patrie française sera enfin libérée du cauchemar de l’invasion, la patrie française pour laquelle près de quatorze cent mille hommes tiennent encore de donner leur vie. »

Ces réalités cruelles, ces fatalités, la réponse de M. Wilson montre assez que son idéalisme, si haut et si large qu’il soit, ne l’entraîne pas à les méconnaître : il se défend de les ignorer : « Nous savons, assure-t-il, les longs périls au travers desquels la France a passé. La France a pu penser quelquefois que, pour nous, ces périls étaient lointains et que nous n’en comprenions pas toute la gravité. Nous les avons toujours connus, nous les avons suivis. Il est vrai qu’il nous était impossible de comprendre à certains moments combien ces périls étaient terriblement proches. Pendant ces années d’angoisse, angoisse que nous avons tous partagée, il n’est pas douteux que l’anxiété de la France a été suprême. C’était elle qui se tenait debout comme une sentinelle à la frontière de la liberté. » De cette constatation, le Président des États-Unis, dans sa droiture, tire une conséquence qui paraît être sa conclusion : « Si le danger qui a menacé la France dans le passé pouvait être permanent,