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certitude, parvint bien à Charleville : M. Guérin, de passage en cette ville, en eut connaissance, ainsi que de la pétition du recteur de Lille, quant au résultat, veut-on le connaître ? La nuit suivante et les nuits d’après, les mêmes scènes se reproduisirent. La nuit du 22 au 23, cette nuit qui préludait à la plus grande des solennités chrétiennes, ne fut pas même l’occasion d’une sorte de trêve de Dieu. Les quartiers de Vazemmes et de Vauban furent fouillés par les sinistres patrouilles et plus d’un millier de proscrits célébrèrent la fête de Pâques dans la gare-prison de Saint-Sauveur et dans les innombrables wagons d’exil.

Après Pâques, chaque nuit et chaque matinée virent se renouveler, dans des proportions semblables, les persécutions du samedi et du dimanche. (évacués et évacuées ont été ramassés au petit bonheur. On a pris indistinctement filles du peuple el filles de la bourgeoisie, oisifs et personnes occupées, qui dans le commerce, qui dans la petite industrie. Ç’a été une pêche à l’aventure, où l’hameçon a été lancé indifféremment dans tous les milieux. Quant à se demander si tels et tels que l’on retenait étaient bien aptes au travail des champs, personne n’en a cure. Un mot de l’autorité allemande accomplit toutes les métamorphoses. Vous, mademoiselle, vous êtes une jeune studieuse, préparant un diplôme ; vous, vous êtes modiste, et vous, lingère ; et vous, fleuriste ; et vous, femme de chambre. Toutes, désormais, nous vous faisons ouvrières agricoles.

Au reste, dans ces exécutions, je vois reparaître le même caractère qui se laisse constamment apercevoir en cette administration allemande tant vantée : l’incohérence. Vérité en deçà de cette rue, erreur au delà. Je n’en veux donner qu’un exemple, dans l’ordre que je connais le mieux, je veux dire l’enseignement. Dans la grande généralité des cas, il a suffi aux étudiants des Facultés, comme aux élèves des lycées et collèges, d’exhiber leurs certificats signés de mon nom pour échapper au coup de filet. Il n’empêche qu’une dizaine d’étudiants et une trentaine au moins d’élèves ont été évacués, en dépit de toutes les protestations. A l’heure présente, nul d’entre eux n’est encore reparu. Ils se trouvent dans des conditions strictement identiques à celles de leurs camarades exonérés. Peu importe ceux qui restent, eux sont partis [1].

  1. Écrit le 25 mai 1914.