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tous les otages devraient avant sept heures (six heures, pour nous Français) s’être rendus à la citadelle, où ils séjourneraient jusqu’à nouvel ordre.

Six heures allaient sonner quand j’entrai dans la citadelle. Comme je franchissais la grande porte, un sous-officier, d’un Ion sévère, m’informe qu’il nous est interdit de nous parler. Nicht sprechen. Il nous est interdit de sortir, même pour passer dans le vestibule. Il nous est interdit de jouer aux cartes. En dehors de se coucher et lire, tout est interdit. Et, pour mieux accentuer cette kyrielle de prohibitions, l’aimable militaire ajoute que toute infraction à ses ordres serait punie par la mise en cellule.

Nous étions consternés. Nous allions et venions, sans nous dire un mot, sans nous voir, comme de muettes et aveugles ombres. La nuit fut des plus dures. Aux deux extrémités, au centre du hall, étaient postées des sentinelles, baïonnette au fusil. Leurs lourdes bottes résonnaient sur le plancher sonore et mettaient le sommeil en fuite. Toutes les deux heures les petites escouades se relevaient. La consigne était de ne laisser jamais seul aucun de nous. Qui sait si nous n’étions pas les plus dangereux des conspirateurs ?

Le lendemain matin, nous n’y pouvions plus tenir : ce système de persécution mesquine et sotte, sans cause intelligible, sans utilité concevable, nous avait exaspérés. D’un même élan nous nous dirigeâmes vers le sous-officier qui dirigeait la surveillance et nous demandâmes de pouvoir nous rendre à deux ou trois auprès du commandant de la citadelle pour lui porter une réclamation. Que si un seul était admis à remplir cette ambassade, mes compagnons insistèrent auprès de moi pour que je voulusse être leur porte-paroles. Quelques instants après, le commandant en personne arrivait, escorté d’un interprète. Ce fut seulement après de longues discussions qu’il nous fut accordé de nous promener dehors et de nous asseoir au grand air, à la condition de ne pas dépasser la double rangée d’arbres en bordure de la chapelle, où les otages étaient enfermés.

« L’union sacrée, » qui, pour le salut du pays, a régné par delà le front, n’a jamais été mieux réalisée que dans la réunion plénière des otages à la citadelle. Toutes les nuances de la pensée politique et religieuse ou antireligieuse comptaient des adhérents dans ce cénacle. Elles s’effaçaient, confondues en