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complètent le chiffre. L’opposition se décompose ainsi : 38 libéraux fidèles au leadership de M. Asquith ; 48 unionistes indépendants, qui n’ont pas vaincu en eux toute méfiance envers les idées ou les allures, ante bellum, de M. Lloyd George, 56 membres du Labour Party inclinés aux rêveries pacifistes, 7 nationalistes irlandais, légalitaires, non révolutionnaires.

Le succès de la coalition est absolu ; c’est plus que la victoire, c’est le triomphe. Mais qu’est-ce qui triomphe ? Il n’y a pas à s’y méprendre : c’est la politique de guerre de M. Lloyd George. C’est la façon dont il a conçu, conduit et terminé la guerre. Le scrutin du 14 décembre signifie satisfaction pour le passé, confiance pour l’avenir ; mais premièrement, par-dessus tout, pour le passé le plus récent et pour le plus prochain avenir ; en termes concrets et précis : pour la guerre et pour la paix, une guerre heureuse, une bonne paix, une guerre bien faite, une paix qui ne peut manquer de l’être. Parmi ces unionistes qui se sont rangés moins sous la bannière de M. Lloyd George que sous le drapeau national tenu par lui, il en est peut-être qui ont eu d’autant plus de mérite à accomplir cet acte de discipline salutaire qu’ils n’ont pas tout à fait chassé leurs vieilles craintes ou leurs vieilles préventions. Je me rappelle, personnellement, un dîner où mon voisin de table m’entretint toute la soirée des dangers que faisaient courir à l’Angleterre les « fantaisies financières » de M. Lloyd George, alors chancelier de l’Echiquier : il en était à ce point convaincu qu’il allait commencer, le lendemain, une campagne de meetings pour les dénoncer ; et j’eus quelque peine à décliner l’invitation pressante d’y assister. Rien ne saurait rendre l’accent de sincérité et d’épouvante avec lequel mon interlocuteur s’efforçait de me montrer, au bout de cette course précipitée, au bas de cette pente irrésistible, l’abîme. Il est aujourd’hui ministre, — l’un des plus importants et des plus dévoués, — dans le cabinet de M. Lloyd George. L’amour de la patrie a fait ce miracle. L’adversaire d’hier a comparé les abîmes : il a compris que le premier à franchir était l’abîme de la guerre, et, comme la volonté de M. Lloyd George était la flamme qui marchait devant la colonne, il a suivi. Suivre était le moyen de savoir.

Ce n’est pas à dire que le véritable abîme franchi, tous les fossés seront comblés, que la voie sera droite et lisse, le terrain parfaitement plan. Mais la seconde leçon des élections anglaises est que maintenant, et pour longtemps, le moyen de servir est de s’unir. Le vieux libéralisme en sort écrasé dans son chef et dans ses