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NAUSICAA

Le charmant conteur, Émile Moselly, mort, dans toute la force de son savoureux talent, quelques semaines avant l’armistice, avait apporté à la Revue ce récit auquel il attachait un prix tout particulier, pour avoir essayé d’y fondre son double culte d’humaniste et de patriote lorrain. La disparition prématurée de l’écrivain, au seuil de la terre promise à son espoir, rend d’autant plus émouvantes ces pages tout imprégnées de l’amour du sol natal.


Ayant pris l’Odyssée sur les rayons de sa bibliothèque, le professeur Bourotte l’ouvrit machinalement ; pour la millième fois, il lut les paroles suivantes, s’étonnant de leur trouver une jeunesse immortelle  :

« Bientôt l’Aurore aux doigts de rose réveille la jeune Nausicaa. Tout émue du songe qu’elle admire, elle descend dans !e palais pour parler à son père et à son auguste mère. Elle les y trouve tous deux : sa mère, assise au loyer avec ses femmes, tourne le fuseau chargé de laine pourprée, et, franchissant ses portes, Alcinoos se rend au conseil où l’ont appelé les Phéaciens. »

M. Bourotte laissa tomber le vieux livre et se mit à rêver. Quittant le monde des humbles réalités quotidiennes, sa pensée vagabonda sur les traces du divin chanteur d’Aonie, dans les pays de lumière, près des eaux courantes, où ces villes des rois venaient laver le linge familial.


Professeur de seconde au collège municipal de Toul, M. Bourotte était un sage et un homme heureux. Il approchait de la quarantaine et, loin d’en ressentir quelque tristesse, il saluait