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ajouta-t-il, je dis la vérité. On n’y vint pas. Je n’attachai, pour ma part, aucune importance à cet incident. Et voici que j’entends un jour, en récréation, deux des « gommeux » causer dans un coin et nommer Amédée. Ils ne me voyaient pas. Ils parlaient des courses et du dernier gagnant. « Marnat l’avait pris à cinq, oui, à cinq, répétait l’un : avec cent francs, il a eu vingt-cinq louis. » J’avais bien observé que mon frére s’arrêtait souvent, ces derniers jours, au guichet de la mère Bondon. Tu te souviens : la vieille femme qui nous vendait des Friandises ? J’avais remarqué aussi une badine dont il m’avait raconté qu’elle venait d’un camarade et qui s’ornait d’un pommeau doré. « C’est du cuivre, » avait-il eu soin de me dire. Une idée me traver.se la tête, si pénible que je dus la vérifier. Je prends la canne. Je la porte chez un marchand. Le pommeau était en or. Je me rappelle l’attitude d’Amédée, lors du renvoi de la bonne. L’évidence s’impose à moi, foudroyante : les cent francs, il les avait volés. Je rentre à la maison. Je l’y trouve. À seize ans, on n’est pas encore le criminel endurci à qui l’absence de remords permet de tenir tête aux plus accablantes preuves. Pressé par mes questions, il nie d’abord, puis il se trouble. Il se met à pleurer. Il avoue. Ma mère rentrait à ce moment-là. Ce fut une fatalité. Ç’aurait été mon père, je lui disais tout. Il eût agi, lui. Peut-être un châtiment immédiat eût-il corrigé ce malheureux. Ma mère, mise au courant, n’eut que des larmes de pitié pour les protestations de repentir qu’Amédée n’épargna point. Elle me supplia de garder le silence vis-à-vis de mon père, en de tels termes, avec de telles larmes, elle aussi, que je lui obéis !… T’expliques-tu maintenant, pourquoi, dès cette époque, j’avais une bien triste opinion de la moralité de cet enfant ?

— C’était grave en effet, répondis-je, mais si jeune… l’entraînement… la fréquentation au collège de condisciples trop riches… la fausse honte… Tu conviens toi-même qu’il aurait pu ne pas avouer…

— Ces raisons, je me les suis données, reprit Blaise. Elles valaient pour excuser une faute, et encore !… Pense donc. Il n’avait pas seulement volé. Une innocente avait été accusée devant lui. Elle avait perdu son gagne-pain. Il s’était tu… Mais il ne s’agissait pas d’une faute, d’un accident. Il s’agissait d’un caractère. Je m’en rendis compte tout de suite. Amédée avait volé ces cent francs, parce qu’il était incapable de résister