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le soir même, sur les quais, M. Jules Marnat en train de fouiller dans les casiers aux vieux bouquins. La souplesse de ses mouvements, son teint, sa corpulence, tout démentait la fable imaginée par le tapeur. — Que les mânes du professeur puriste pardonnent ce terme d’argot à son ancien élève ! — Je n’osai pas l’aborder, tant je me sentais le cœur serré à constater la vilenie de son plus jeune fils. Je ne répondis pas à l’impudente missive, et d’autres années avaient passé sans que j’entendisse parler, ni d’Amédée, ni de Blaise, ni de leur père, jusqu’à un matin du mois de novembre 1881, où j’avais lu dans un journal l’annonce du décès de M. Jules Marnat, inspecteur honoraire de l’Académie de Paris. Il était mort des suites d’une grave opération, dans la maison de santé des Frères de Saint-Jean de Dieu, rue Oudinot, tout près du logis où j’habitais alors.

Ma première action avait été de courir à cette clinique pour Obtenir des renseignements sur cette fin d’un maître avec qui je n’avais jamais eu de relations personnelles, et je lui gardais un culte, non moins fervent que silencieux. Les jeunes gens ont de ces pudeurs à manifester leurs sentiments envers les vieillards, qu’ils privent ainsi d’un réconfort, quelquefois bien nécessaire dans les détresses du soir de la vie, — enfantine timidité par excès de sensibilité nerveuse, que l’on se reproche ensuite comme une ingratitude. Ce fut mon impression, à écouter le Frère-portier, qui me raconta les derniers moments de M. Jules Marnat, son arrivée à l’hôpital, en proie aux terribles douleurs d’une maladie du foie à son dernier période, et son admirable courage.

— Devant un tel moral, avait ajouté le Religieux, le chirurgien a dit : Il peut s’en tirer… Et il a tenté ce que conseillait M. le professeur Louvet, la recherche et l’extraction d’un calcul. Les autres médecins croyaient à un cancer. M. Louvet non. Il y voyait juste. On a trouvé le calcul. On a pu croire d’abord que M. Marnat était sauvé. Il a succombé à une embolie.

— Et quand a lieu l’enterrement ? avais-je interrogé.

— Demain matin, à neuf heures. Le convoi partira d’ici pour Montparnasse.

— Et Mme Marnat ?

— Mais M. Marnat était veuf. On a même dit que le chagrin de cette perte avait bien aggravé sa maladie.