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nombreuses. Dans le greffon tué par l’alcool, ces cellules musculaires ont disparu et seul l’appareil élastique est conservé. Or, un certain temps après la suture du greffon, on constate que celui-ci commence à être réhabilité par des cellules musculaires qui proviennent manifestement des tissus ambiants par cheminement transversal et nullement des extrémités de l’artère vivante par cheminement longitudinal. Ce qui le prouve, c’est qu’ils sont répartis à un moment donné dans toute la hauteur du greffon, mais plus nombreux vers la partie externe de la tunique moyenne. — Ces fibres musculaires sont des cellules ordinaires des tissus environnants, des fibroblastes vulgaires, comme on dit, qui se transforment peu à peu, comme on le voit au microscope, en cellulaires musculaires à contexture spéciale. Il y a donc là, prise sur le vif, une évolution de la cellule commune qui se transforme en la cellule spéciale caractéristique de l’organe dans laquelle elle s’est infiltrée. Ce fait bouleverse complètement les idées courantes sur la spécificité et la fixité des diverses sortes de cellules.

Mais alors on peut entrevoir les conséquences suivantes : puisque nos différents organes, quels qu’ils soient, sont formés d’une trame d’une charpente conjonctive qui subsiste quand l’organe est tué dans l’alcool et qui se ressoude dans la greffe à la charpente conjonctive d’un autre organisme ; puisque, d’autre part, cet organe mort greffé peut, par ses réactions naturelles, faire évoluer les cellules communes qui viennent l’habiter jusqu’à leur rendre la spécificité qui le caractérise, on peut imaginer ceci : Qu’est-ce qui empêchera un jour de greffer à un animal ou à un homme à qui il faut enlever le rein, un rein dévitalisé dans l’alcool et qui ensuite reformera dans son sein, par cette métaplasie cellulaire, et au dépens des cellules communes environnantes, les cellules rénales qui le caractérisent ? Et ce qui est vrai pour le rein, qu’est-ce qui empêchera que ça le devienne pour le cœur, pour l’estomac… que dis-je, pour le cerveau ? Les conséquences humaines et sociales de cela seraient prodigieuses et féeriques,

Quel beau roman à la Jules Verne ou à la Wells il y aurait à écrire là-dessus, et n’est-il pas troublant de penser que, grâce aux travaux admirables et profonds de Nageotte et de Sencert ce roman sera peut-être demain une réalité ?


Charles Nordmann.