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extrêmement instable et sensible aux influences mécaniques ; on peut le montrer facilement en reprenant une expérience de Hardy où on provoque artificiellement la coagulation et l’arrangement en réseaux de filaments, d’une solution colloïdale de blanc d’œuf.

Telles sont les conceptions audacieuses et suggestives auxquelles l’expérimentation la plus rigoureuse a conduit le professeur Nageotte lorsqu’en véritable homme de science, sans idée préconçue, il en suivait le fil d’Ariane.

Mais alors, si nous abandonnons franchement toute préoccupation étrangère à la constatation pure et simple des faits, nous ne verrons dans les substances conjonctives que l’habitation des éléments cellulaires vivants, et c’est ainsi que les professeurs Sencert et Nageotte ont été amenés à se demander si cette habitation, débarrassée de ses habitants, peut en recevoir d’autres, et à expérimenter pour le savoir. Pour faire cette expérience, il y a un moyen qui s’impose : tuer dans un fragment de tissu conjonctif les cellules en le plongeant dans une solution qui les détruise ; reporter ensuite ce fragment dans l’organisme vivant et observer ce qui se passe ; en un mot, faire une greffe morte.

C’est ce qu’ont fait Sencert et Nageotte, et il nous reste à exposer les résultats qu’ils ont obtenus et que je considère comme les plus beaux et les plus riches de conséquences que la biologie et la chirurgie aient produits depuis longtemps.

Ce qu’il convient de remarquer avant d’aller plus loin, c’est que nous avons ici un des exemples les plus nets de ce que peuvent faire, lorsqu’elles sont intelligemment réunies, l’hypothèse, cette paralytique, et l’expérimentation, cette aveugle. Dans son livre immortel sur la Science et l’Hypothèse, Henri Poincaré a soutenu avec force cette idée, — qui avait une valeur particulière sous la plume du plus grand théoricien de ce temps, — que les théories n’ont de valeur dans la science qu’autant qu’elles suggèrent des expériences. A cet égard, entre les diverses théories biologiques et philosophiques de la vie, et sans rien préjuger de leurs valeurs réelles, il est certain que la doctrine physico-chimique des phénomènes vitaux est supérieure à la doctrine vitaliste parce que, plus que celle-ci, elle est suggestive d’expériences et de recherches pratiques. Quoi qu’il en soit, dans les travaux des professeurs Nageotte et Sencert, nous voyons sous une forme achevée l’expérience et la théorie se faire réciproquement et successivement la courte échelle jusqu’à monter très haut. Déjà Newton avait admirablement aperçu cet enchaînement