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leur patrie les ont laissés indifférents ? Mes souvenirs, qui datent d’hier, ne me permettent guère de le croire.


LA FIN D’UN RÊVE

Pour comprendre cette chute si brusque, et sans doute inévitable, il faut remonter aux causes. Il faut se rappeler que, dans la « Donskaia Oblast[1], » les Cosaques proprement dits sont en minorité. On compte 1 700 000 Cosaques et 2 000 000 de non-Cosaques. Ces derniers sont des commerçants, et surtout des paysans, anciens serfs des propriétaires cosaques. Au moment où la révolution a éclaté, les non-Cosaques n’étaient pas représentés dans ce gouvernement exclusivement guerrier.

Cependant les Cosaques du Don, — surtout ceux du Nord, — avaient perdu la plus grande partie des fameuses qualités guerrières qui avaient motivé leurs privilèges. La frontière russe, qu’ils avaient à défendre contre les populations musulmanes du Sud, les Tatares, les Tchetchens, les Tcherkesses, s’était déplacée depuis longtemps. Les Cosaques des stanitzas du Nord, dont les terres touchent à la Grande-Russie, sont depuis longtemps devenus des paysans. Ceux du Sud ont davantage conservé l’esprit militaire.

Chaque Cosaque naissait propriétaire et soldat. Dès que la guerre éclatait, ils devaient accourir, à l’appel du. Tsar, avec leur cheval et leur selle ; le gouvernement leur fournissait la lance, le fusil et l’uniforme. Depuis plusieurs siècles les Cosaques avaient leur chef, l’ataman, élu par les « krougs » qui représentaient les stanitzas. Le gouvernement russe redoutait cette force placée au centre de l’Empire, et qui réunissait dans une seule main plus de cinquante bons régiments de cavalerie ; aussi la désignation de l’ataman appartenait-elle à la Couronne, qui choisissait rarement un Cosaque. Le dernier ataman, sous l’ancien régime, fut le général comte Graabe, d’origine balte.

La révolution russe eut pour principal effet, dans les pays du Don, de ressusciter l’énorme privilège militaire de l’élection d’un commandant en chef, dont le pouvoir échappait au contrôle du gouvernement. Le kroug usa de son droit pour

  1. Le gouvernement militaire du Don.