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Services automobiles ne put que constater que tous les obstacles avaient été merveilleusement surmontés et qu’il n’y avait rien à craindre. C’est qu’après l’angoisse des premiers jours, il n’y avait plus, chez tous, qu’un seul sentiment, qu’un seul désir, qu’une seule volonté, qui faisait se crisper et se cramponner chacun à sa tâche, jusqu’au-delà du possible : Ils ne passeront pas !

Et puis, le spectacle de l’héroïsme des combattants n’était-il pas un perpétuel encouragement, pour ceux qui avaient « l’honneur » de les conduire à la bataille ?

— Comment voulez-vous, disaient-ils, que nous nous laissions abattre quand nous voyons ce que souffrent les fantassins ?

«… Comment te dire ce que nous avons ressenti quand nous les avons vus arriver : deux cent cinquante hommes environ : tout ce qui restait d’un régiment ! Et dans quel état !… Dans mon camion monta le colonel, avec le drapeau et sept sapeurs : c’était si poignant de voir cet homme, qui représentait pour moi tant de souffrance, tant d’héroïsme et tant de gloire, s’installer avec ses hommes, ses camarades plutôt, ses amis, dans cette misérable voiture, que j’ai senti mes yeux se brouiller de larmes. J’ai couru à la recherche de mon lieutenant pour lui signaler le fait : il pouvait prendre le colonel avec lui dans sa voiture de tourisme. Je ne le trouvai pas, le temps pressait, il fallait vider la place… Enfin, il est arrivé, il a fait monter avec lui l’officier : je n’ai gardé que le drapeau et ses sept gardiens ; et nous sommes revenus ainsi vers la ville[1]. »

Quelles grandioses leçons, en effet, et comment tous n’auraient-ils pas senti qu’il se passait quelque chose de formidable et qu’il fallait y jouer son rôle, sans faiblir ?


Dans leur ensemble, toutes les unités automobiles de poids lourds étaient réparties en deux grandes formations : les services de la Régulatrice et ceux de l’Armée. Les premiers allaient des gares de chemin de fer aux dépôts, les autres des dépôts aux lignes de l’avant.

Or, le travail n’était pas le même pour tous. Alors que les camions des services de la Régulatrice voyageaient, sauf

  1. Lettre du conducteur A. Morin.