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l’existence même de l’Art de France, il n’est plus temps de l’oublier, car c’est l’heure des revendications suprêmes.

Lorsqu’on honorera en France, à l’égal d’un Donatello, d’un Michel-Ange et d’un Léonard, d’un Bramante ou d’un Brunelleschi tous nos maîtres-d’œuvre à peu près ignorés de la foule, lorsque leur légende refleurira dans des récits les mettant en action, nous comprendrons mieux, chez nous, tout ce que nous leur devons et ce que l’histoire générale de la France leur doit, pour leur magnifique effort d’expansion de l’esprit français, au début de notre formation nationale.

La grandeur primordiale de l’Art français, sa suprématie indéniable et constante depuis dix siècles, — malgré l’éclipse de cinquante années de la seule peinture, imposée par nos jeunes Rois, retour du Milanais, lesquels donnèrent le pas à des artistes italiens secondaires, sur nos honnêtes artistes nationaux qui les dépassaient, largement, par leurs qualités de sincérité, d’observation et de technique, mais n’étaient pas des courtisans, — tout cela devrait être dit et démontré par les œuvres et par des dates.

La mode, alors, venait d’outre-monts, comme elle soufflait récemment d’outre-Rhin, dans les pestilences de l’avant-guerre, et comme elle faillit s’implanter chez nous, sans cette guerre révélatrice. Puissent les deuils de Reims, d’Arras et de Soissons nous dessiller les yeux et nous ramener, tous, architectes, sculpteurs, peintres, graveurs et décorateurs, vers cette tradition française qui est notre héritage et qui faillit périr sous l’emprise sournoise de l’ennemi avant la guerre, mais qui doit refleurir vivace et pure d’éléments étrangers, avec les lauriers de notre Victoire sur les ruines de notre sol sacré !

La tâche est belle. La reconstitution de nos villes et de nos villages ouvre aux artistes un champ d’action fécond d’où surgira, certainement, un nouveau style. Qu’ils regardent derrière eux, non pas pour recommencer les œuvres d’un autre âge, mais pour écouter les conseils impérieux qui montent de ces expériences, et pour aller plus loin, à la recherche de ce Mieux qui, seul, est un progrès, et qu’on ne peut atteindre qu’en connaissant tout le Bien, créé par le passé et en le respectant comme le legs sacré d’un cher aïeul qu’on pleure.


ANDRE-CHARLES COPPIER.