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toire français ! Jamais peut-être il n’y eut de violence plus opposée à la nature des choses, à l’instinct des gens, à toutes les lois ethniques, nationales, sociales. Tout, chez le Boche, répugne au Messin. On se réveille ici, après un cauchemar qui laisse encore flotter des ombres sur les âmes allégées et rajeunies par le retour de la liberté. C’est ce qui donne un accent si pénétrant, si tendre à la voix des enfants qui, du seuil des portes ouvertes désormais sans crainte, disent aux amis retrouvés :

— Bonjour !… Bonjour !…

— La route de Metz ?

L’enfant interrogé répond, avec un émouvant accent de terroir :

— C’est tout droit qu’il faut marcher. À Auboué, on monte une côte…

Au haut de cette côte, encore un écriteau allemand : Nach Metz… Mais, cette fois, nous lisons avec satisfaction cette indication routière de nos ennemis. Plus qu’une vingtaine de kilomètres à parcourir, et l’on reverra la porte Serpenoise, l’Esplanade, sans un seul casque à pointe, la cathédrale Saint-Étienne et sa haute flèche, dominant toute la vallée de la Moselle et annonçant de loin aux voyageurs la cité française qui revient au foyer de la mère patrie après une séparation si longue et si cruelle. Quelle émotion que d’avancer ainsi, à travers ce pays de fonds boisés et de collines ondulées, dans l’agreste décor de ces villages naïvement et pieusement pavoisés en l’honneur de la France ! Et quelles pages d’histoire nationale très ancienne et toute récente racontent les noms des localités rencontrées en chemin : Sainte-Marie-aux-Chênes, Amanvillers, Saint-Privat, Borny ! À droite de notre route, c’est Rezonville, Gravelotte, évoquant les combats épiques où notre armée d’autrefois a mérité de vaincre. Les morts de l’Année terrible tressaillent dans leurs tombes sanglantes, en assistant au triomphe des soldats nouveaux, — leurs fils, — qui ont repris leur effort, soutenu leur querelle et consolé leur douleur. En vérité, ce qu’on éprouve ici ne pourrait se dire. On regarde, sans parler, ces villages, ces hameaux, décorés de bleu, de blanc, de rouge, ces guirlandes suspendues à des ruines, ces signes affectueux des mains agitées en gestes de bienvenue, on entend ce cri, sans cesse répété comme la formule d’une litanie : « Bonjour !… Bonjour !… » Et l’on ne sait comment