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L’ALSACE ET LA LORRAINE RETROUVÉES.

ce chemin qu’ils avaient parcouru, en sens inverse, d’une allure conquérante, en ordre de bataille, sous l’œil arrogant du Kronprinz.

Dans la ville de Longwy, ressuscitée, nous assistons à l’entrée de la 102e division américaine. Les couleurs du drapeau étoilé et de notre drapeau sont les mêmes, ce qui rend très facile un pavoisement aussi fraternel qu’instantané. Les habitants du pays se sont assemblés en foule sur les trottoirs de la rue principale où doit passer le défilé. On voit de gentils enfants, habillés en zouaves, en chasseurs alpins. Comment les mères françaises ont-elles pu confectionner ces costumes, aux moments douloureux de la surveillance ennemie ? Tout à coup, un silence, un grand émoi, suivi des acclamations de plusieurs milliers de poitrines… La musique de nos alliés a joué la Marseillaise. Le jour de gloire est arrivé…

Metz, mardi, 19 novembre.

Tous les villages, aux abords de Metz, sont parés comme pour une fête attendue depuis longtemps. Les drapeaux, frissonnant au vent de cette matinée d’extrême automne, déjà glacée par l’approche du vent d’hiver, mais radieuse tout de même sous la pâleur lumineuse du ciel lorrain, voisinent encore avec les enseignes gothiques et les écriteaux barbares dont quarante-sept ans d’invasion allemande ont encombré, infesté ce paysage si doux, si avenant !

Les Allemands s’en vont. Eux partis, on se sent délivré d’une sujétion permanente, que rappellent seulement ces mots indésirables, encore inscrits sur des pierres, sur des planches de bois ou sur des plaques de fonte, dans la campagne lorraine : Achtung !… Verboten… Mais c’est fini, maintenant… On n’aura plus besoin d’une permission pour mettre le nez dehors, d’une permission pour allumer une lampe ou pour l’éteindre, d’une permission pour sortir et d’une autre pour rentrer, d’une permission pour veiller et d’une permission pour dormir. Le mauvais génie du Germain, chagrin et morose par nature, espion par goût, garde-chiourme par vocation, a quitté ce coin de France où va refleurir, en épanouissements merveilleux, après tant d’efforts contrariés et d’espérances déçues, la sève de notre race immortelle. Metz, qui n’a jamais cessé d’appartenir à l’histoire de France, Metz avait cessé de faire partie du terri-