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Camille Siméon, dix-sept ans, et son frère cadet, un jeune menuisier de seize ans, Marius Mouter, quelques maçons italiens, parmi lesquels un enfant de quatorze ans, Joseph Cornelio… Innocentes victimes, dont le sang laisse une empreinte ineffaçable, une tache indélébile sur l’armée allemande.

Avant de s’en aller, le général-lieutenant von Seydewitz, inspecteur des Étapes, a éprouvé le besoin d’adresser une proclamation à ses camarades de la 5e armée et de leur expliquer l’armistice à sa façon, disant que le monde presque entier, (fast die Ganze Welt) étant jaloux du développement militaire et commercial des Allemands, s’est attaqué brusquement à cette inoffensive Allemagne, qui ne désirait que la paix… On connaît le thème. Il a été développé à satiété par la presse officieuse d’outre-Rhin.

En allant de Longuyon à la frontière, on traverse Tellencourt et Villers-la-Chèvre, deux petits villages à peu près déserts. La porte fortifiée de la citadelle de Longwy, timbrée d’un écusson du temps de Vauban, s’ouvre sur un amoncellement de ruines. Mais, un peu plus loin, le dernier village de la Lorraine française, Mont-saint-Martin, est en fête. Pas une fenêtre qui n’ait son drapeau. Les gens sont sortis sur la route, causent avec animation, commentent les événements, se réjouissent de voir qu’il n’y a plus un soldat allemand en Lorraine.

Juste à ce moment, en effet, un dernier détachement de l’armée du Kaiser franchit la frontière, entre deux rangées de maisons blanches, toutes pavoisées aux couleurs de la France et de la Belgique. La population est dehors, afin de voir partir, pour toujours, ces intrus, qui s’en vont enfin, au milieu des signes évidents de la joie unanime et du soulagement universel que suscite partout leur départ. Ce sont des fantassins de la landwehr, vêtus de tuniques en gros drap grisâtre, coiffés de calots plats à bande rouge. Ils ont généralement de grosses barbes roussâtres ou blondasses, des yeux pâles, des figures inexpressives et dures, comme fermées à toute influence de lumière et de joie. L’un d’eux, un vétéran au poil grison, porte sur sa tunique l’insigne noir de la croix de fer. Ils font halte, un instant, au bord de la route, comme pour se compter, s’alignent vaguement, puis reprennent leur marche pesante et traînante, capitaine en tête, sergent en serre-file, s’en allant, le fusil en bandoulière, d’un pas de défaite, sur