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n’apporte à panser leurs plaies le plus absolu dévouement. Ayant souffert pour elle (et combien et avec quel courage et quelle endurance !), ils attendent d’elle de légitimes compensations. La France n’oubliera pas qu’à ces malheureux, qui ont si vaillamment fait leur devoir, elle est redevable de retrouver sa place dans le concert des grandes Puissances. C’est parce que les Alsaciens-Lorrains, demeurés fidèles à son drapeau, malgré les plus dures privations, affirment avec tant d’éclat leur volonté de lui revenir, qu’elle retrouvera ses frontières naturelles sans se soumettre à l’humiliation d’une consultation populaire.

Qui donc, en effet, pourrait encore exiger un plébiscite quand, dans les villes et les villages d’Alsace, l’armée française est reçue avec de si éclatantes manifestations de joie, quand, à toutes les fenêtres des maisons et des chaumières d’Alsace et de Lorraine, flotte le drapeau tricolore ?

Il me reste à signaler un dernier détail, plus caractéristique que tous les autres. De nombreux Allemands immigrés sont restés dans les provinces reconquises. Hier encore hautains, hargneux, ignoblement délateurs, ils sont aujourd’hui polis jusqu’au servilisme. On les voit dans les rues quémandant un sourire et une poignée de main. Ils mettent à pavoiser leurs immeubles aux couleurs françaises un empressement, dont ils ne comprennent pas le caractère dégradant. À tous ils affirment qu’ils seront heureux de changer de nationalité. Pour un peu, ils chanteraient : Frankreich über alles. Les Alsaciens-Lorrains, les vrais, ne s’indignent même pas de ces manifestations lamentables de la platitude allemande. Ils connaissent trop leurs anciens maîtres pour ne pas avoir épuisé pour eux toutes leurs réserves de mépris.

Et puis leur bonheur est trop grand et dès lors indulgent. La réaction viendra demain. Elle sera peut-être terrible. Pour l’heure, les grandes vagues de la joie populaire déferlent seules sur l’ancien pays d’empire. Vive l’Alsace-Lorraine française… à jamais !

E. Wetterlé.