Page:Revue des Deux Mondes - 1918 - tome 48.djvu/825

Cette page a été validée par deux contributeurs.
821
L’ALSACE ET LA LORRAINE RETROUVÉES.

neutralisation était encore acceptable. Pour les Français, la réalisation de ce plan aurait comporté une dure renonciation, mais le bonheur d’épargner au monde les horreurs de la guerre aurait été inappréciable. Ce n’était qu’un rêve. Plus la guerre se prolongeait, plus sa réalisation devenait impossible. N’était-il pas évident que l’Allemagne ne consentait à nous faire cadeau de la neutralisation, que parce qu’elle ne pouvait plus nous garder ? »

C’est ainsi que la dernière tentative du germanisme oppresseur échoue comme les autres. Les Alsaciens-Lorrains ont gardé le souvenir cuisant des quarante-sept années de tortures qu’un vainqueur sans générosité leur avait infligées. Si aujourd’hui ils crient à pleine poitrine : « Vive la France ! » c’est parce que, pendant près d’un demi-siècle, on les punissait de prison quand ils laissaient s’échapper ce cri du cœur. Si les façades de leurs maisons et leurs poitrines portent les trois couleurs françaises, c’est parce que les peines les plus sévères étaient prononcées par les tribunaux allemands contre ceux qui les arboraient. Toutes les rancunes accumulées par l’interminable et sauvage persécution éclatent au grand jour. Fini le cauchemar ! Finie la servitude ! Ah ! ceux-là seuls qui ont connu l’ingéniosité des tortionnaires de l’Alsace-Lorraine peuvent comprendre ce que signifie pour les annexés le drapeau de la France flottant sur les clochers des provinces délivrées !

Et qu’on me permette ici d’insister particulièrement sur un fait que généralement on ignore et que d’aucuns voudraient méconnaître. L’Allemand, quelle que fût son origine, qu’il vînt du Nord ou du Sud de l’Empire, qu’il appartint à la caste des fonctionnaires ou qu’il fût simplement commerçant et industriel, devenait rapidement un espion et un bourreau. Les immigrés formaient une nation dans la nation, un État dans l’État. Tout les séparait de la population indigène, le langage, les mœurs, les traditions de famille, les usages. Systématiquement, ils se refusaient à s’assimiler au milieu où ils vivaient. En revanche, ils cherchaient par tous les moyens à enlever toute individualité à notre peuple. Cette lutte entre deux civilisations (Weltanschauungen) était de toutes les heures, de tous les instants. Loin de l’atténuer, le temps ne faisait que la rendre plus âpre, plus violente. On avait tenté, de part et d’autre, des rapprochements ; on avait essayé de trouver des formules