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presque illimitée. Un Alsacien devint statthalter, un autre secrétaire d’État. Pleine et entière liberté fut accordée au parlement de Strasbourg de régler à sa guise le nouveau statut national.

Il était trop tard. Les Alsaciens-Lorrains refusèrent le cadeau que leur faisait l’Empire. Les Allemands tentèrent alors une nouvelle manœuvre, la dernière. Ils essayèrent d’organiser un pétitionnement en faveur de la neutralisation des deux anciennes provinces françaises. Avec quel zèle ceux qui, la veille encore, parlaient de démembrer l’Alsace-Lorraine et de la rattacher par tronçons à la Prusse et à la Bavière pour en finir, une fois pour toutes, avec l’opposition nationale, s’employaient à démontrer à leurs victimes que leurs intérêts matériels et moraux exigeaient un complet affranchissement ! Tout fut mis en œuvre. Aux ouvriers on rappela les avantages de la législation allemande sur la protection du travail ; on menaça les viticulteurs de la concurrence désastreuse du vin français. Et puis les industriels des provinces annexées n’allaient-ils pas perdre une clientèle qu’ils ne pourraient pas remplacer ? Les croyants n’étaient-ils pas menacés dans l’exercice de leurs libertés religieuses ?… Les Allemands reniaient ainsi tout leur passé de persécutions mesquines pour tenter, par l’évocation de dangers imaginaires, de retenir au moins l’Alsace-Lorraine dans leur union douanière.

Vains efforts ! Le souvenir de leurs crimes contre le droit des gens était trop vivace pour que les Alsaciens-Lorrains pussent prêter l’oreille à ces objurgations désespérées. Je citerai encore, à ce propos, quelques phrases de l’article auquel j’ai fait un emprunt plus haut. La Landeszeitung de Mulhouse écrivait, au lendemain de l’armistice : « La guerre vint. L’Alsace-Lorraine ne manifesta aucun enthousiasme pour cette guerre. Le cœur saignant, elle pensait aux frères d’au-delà les Vosges. Elle fit néanmoins son devoir en souffrant de douleurs qu’ignoraient tous les autres pays. Et la récompense ? Son sort fut effroyable. Ceux-là même pour qui elle était contrainte de sacrifier ses biens et son sang la traitèrent comme un pays ennemi. Qu’on nous épargne tout récit et toute description. Ceux qui nous ont écrasés payent maintenant leur dette au centuple… Quand nous pensions autrefois pouvoir servir de trait d’union entre la France et l’Allemagne, l’hypothèse de la