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La Douce France est-elle encor douce ? — Elle est dure,
Chaque fois qu’il le faut, pour que sa douceur dure.
Et jamais son épée injustement n’a lui ?
— Non.

Qu’est-ce qu’un Français ? — Un Français est celui
Qui, né libre, voudrait délivrer tous les hommes.
Est-il dupe en cela ? — Dupes, nous ne le sommes
Que lorsque nous craignons la générosité.
Où donc en serions-nous si nous n’avions été
Combattre follement pour des indépendances ?
Nous ne fûmes profonds que dans nos imprudences.
Rien ne nous a jamais servi que notre cœur.
L’amour du genre humain n’aura plus un moqueur.
Faut-il que cet amour se concentre ou s’épanche ?
Et comment aimez-vous l’Humanité ? — La branche
N’aime le sol qu’à travers l’arbre, et je ne puis
Aimer l’Humanité qu’à travers mon pays.
Vous dites mon pays toujours ; mais, je vous prie,
Est-ce pour éviter de dire ma Patrie ?
— Il est vrai que je veille à prononcer très peu
Le plus beau nom qui soit après celui de Dieu.
Puisque dans ce seul nom c’est tous les morts qu’on nomme,
D’une telle parole il faut être économe,
Car l’oreille et les yeux l’usent en l’adorant.
Pas plus que le drapeau ne passe à chaque rang,
Ce mot-là ne peut être écrit à chaque ligne.
Et pour graver ce mot d’une pudeur insigne,
On a toujours choisi l’envers des croix d’honneur,
Parce qu’il doit rester tourné contre le cœur.

Ce pays se bat-il, comme au vieux temps des princes,
Pour des provinces ? — Il se bat pour deux provinces,
Sans cesser, un instant, derrière elles, de voir
Tous les fronts sur lesquels le sort mit un nœud noir.
Qu’est-ce que doit le monde à la France immortelle ?
— Le monde lui doit tout, et le sait. — Pouvait-elle
Mourir ? — Oui, cette fois elle aurait pu mourir,
Car pour donner le temps au monde d’accourir
Entre ses bras mordus elle tenait la Bête.
Quelle auréole a-t-elle à présent sur sa tête ?