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par Ingres, est dans un coin. Tous les souvenirs de jeunesse. De tous ceux qui vivaient aux Roches, en 1829, il ne reste plus que moi. Tout cela m’a gonflé le cœur. A quand moi ? A bientôt évidemment. J’ai serré la main à Léon Say. Je suis allé jusqu’à l’église. J’ai suivi le corbillard.

1er juin. — M. Léon Say m’envoie des reliques de mes enfants, trouvées chez Mlle Louise Bertin, des lettres de ma douce fille Léopoldine, quatre portraits de mes quatre enfants par leur mère, et un portrait de Charles à l’âge de cinq ans par Louis Boulanger.


Le 22 mai, l’empereur du Brésil fait au poète, une visite qu’il avait annoncée avant de partir pour l’Europe. J’en donne ici, avec l’entrevue qui suivit, le récit, dont j’ai déjà publié quelques courts fragments.


9 heures du matin. — Visite de l’empereur du Brésil, longue conversation. Très noble esprit. Il a vu sur une table l’Art d’être grand-père. Je le lui ai offert, et j’ai pris une plume. Il m’a dit : Qu’allez-vous écrire ? J’ai répondu : deux noms, le vôtre et le mien. Il m’a dit : rien de plus, j’allais vous le demander. J’ai écrit : A dom Pedro de Alcantara. Victor Hugo. Il m’a dit : Et la date ? J’ai ajouté : 22 mai 1877. Il m’a dit : Je voudrais un de vos dessins. J’avais là une vue que j’ai faite du château de Vianden. Je la lui ai donnée. Il m’a dit : A quelle heure dînez-vous ? J’ai répondu : A huit heures. Il m’a dit : Je viendrai un de ces jours vous demander à dîner. J’ai répondu : Le jour que vous voudrez, vous serez le bienvenu. Il a comblé de caresses Georges et Jeanne. Il m’a dit en entrant : Rassurez-moi, je suis un peu timide. En parlant des rois et des empereurs, il dit : Mes collègues. Un moment, il a dit : Mes droits… Il s’est repris : Je n’ai pas de droits, je n’ai qu’un pouvoir dû au hasard. Je dois l’exemple pour le bien. Progrès et liberté. Quand Jeanne est entrée, il m’a dit : J’ai une ambition. Veuillez me présenter à Mlle Jeanne. J’ai dit à Jeanne : Jeanne, je te présente l’empereur du Brésil. Jeanne s’est bornée à dire à demi-voix : Il n’a pas de costume. L’Empereur lui a dit : Embrassez-moi, mademoiselle. Elle a avancé sa joue. Il a repris : Mais, Jeanne, jette tes bras autour de mon cou. Elle l’a serré dans ses petits bras. Il m’a demandé leur photographie et la mienne et m’a promis la tienne. Il m’a quitté à onze heures. Il m’a parlé d’une façon si grave et