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C’est encore en voiture que Victor Hugo, dont la main secouée écrit avec peine, jette ces deux vers :

Mais voici que déjà les toits fument au loin
Et que l’ombre descend du haut des monts plus grande

qui traduisent, — insuffisamment, — le célèbre distique de Virgile :

Et jam summa procul villarum culmina fumant,
Majoresque cadunt altis de montibus umbræ

Victor Hugo eut pour Virgile un véritable culte, avec des vicissitudes qui ne furent pas toujours inspirées par des raisons de l’ordre poétique. S’il ne salua pas en lui avec une fidélité continue le « maître divin » que chantait une de ses plus belles Voix Intérieures, il ne renonça pourtant jamais à l’aimer et à l’imiter. Il le savait par cœur, et il avait l’obsession de ses grands vers puissants, dont il s’inspirait ou qu’il cherchait à traduire. Il s’est essayé plusieurs fois au Majoresque cadunt sans réussir à renfermer dans un alexandrin l’émouvante plénitude qui élargit le magnifique vers latin jusqu’à l’ampleur d’un paysage. La faute n’en était pas au génie de Victor Hugo, qu’il n’est pas excessif d’égaler au génie de Virgile, mais aux différences grammaticales des deux langues dont l’une a une inimitable concision. Une autre preuve en est fournie par ce même carnet de Victor Hugo dans ces vers :

Ecoutez ce que dit le voluptueux sombre :
Le mal d’autrui s’ajoute à vos plaisirs dans l’ombre ;
Il est doux, quand le vent trouble le gouffre amer,
D’être sur terre alors qu’un autre est sur la mer.

Ce quatrain rappelle, et il imite, — mais il s’en faut qu’il égale, — le début du livre II Re Rerum Natura.

Victor Hugo reprend ses avantages quand il obéit à sa propre inspiration, qu’elle soit sombre comme dans ces vers :

<poem> Sur la montagne, au fond du bois, l’antre apparaît, Large et noir ; on dirait l’arcade sourcilière De quelque géant sombre enfoui sous le lierre ; Le roc farouche ébauche un vague froncement, On croit voir un regard dans cette ombre