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désir de plaire,… phrases brillantes, polies, taillées à facettes… » Qui est-ce ?… Allons ! Stace, peut-être ?… Non : c’est Tacite !

Un élève des rhéteurs, et l’esclave de la rhétorique, au point de sacrifier au tour de ses phrases la pensée et la vérité, un écrivain qui cherche d’abord le succès mondain, les applaudissements de coquetterie : voilà Tacite ?

Relisez les Histoires ; ou lisez-les naïvement. Il n’est pas de livre plus grave, plus triste et plus désespéré ; de livre où soit peinte une époque plus sombre, et par un auteur plus chagrin. « Opus aggredior opimum casibus, atrox præliis, discors seditionibus, ipsa etiam pace sævum… Sauvage même dans la paix. Quatre princes succombant sous le fer. Trois guerres civiles, plus encore d’étrangères, le plus souvent les unes et les autres mêlées. Succès en Orient, revers en Occident. L’Illyrie troublée ; les Gaules chancelantes ; la Bretagne enfin domptée, aussitôt abandonnée ; les Sarmates et les Suèves soulevés contre nous ; le Dace illustré par ses défaites et les nôtres ; et le Parthe prêt à courir aux armes, affolé par un fantôme de Néron… Des calamités inconnues, ou qui reviennent après de longs siècles… Des villes englouties ou renversées… Rome dévastée par des incendies ; les sanctuaires les plus anciens brûlés ; le Capitole en feu, par la main des citoyens… Jamais on n’a mieux vu que, si les Dieux n’ont cure de nous sauver, ils n’oublient pas de se venger. » Où voyez-vous la rhétorique ? et la coquetterie ? Mais, le chagrin, le sentez-vous ?

Le chagrin de Tacite est celui d’un homme qui a été le témoin de ces grands malheurs. Il n’était, sous le règne de Galba, qu’un adolescent : les souvenirs d’enfance gardent une intensité cruelle, en certaines âmes qui sont de nature inconsolable. Mais lui, ne s’était-il pas consolé, sous Vespasien qui lui commence sa fortune, sous Titus qui la lui continue, sous Domitien qui la lui rend fort belle ? Et trop belle peut-être : il fut, dit M. Courbaud, l’un des sénateurs à qui Domitien donnait à juger ses victimes. A-t-il mérité alors le compliment qu’il adresse à Lépide. « C’est mon avis que ce Lépide avait de la sagesse, étant donnée l’époque… » L’époque de Tibère… Lépide obtint quelque adoucissement à la sauvagerie que déchaînaient les flatteurs de Tibère et cependant sut conserver la faveur de Tibère : Tacite se demande s’il ne convient pas, en pareille occurrence, d’éviter à la fois l’insolence et la bassesse et d’aller son chemin, tant bien que mal, à distance égale de l’intrigue et des dangers. Il n’est pas autrement fier de le dire. A-t-il mérité la compassion que M. Courbaud lui accorde : « Pour n’être pas, victime à son tour, Tacite avait accepté de condamner