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Non ; car l’ouvrage n’était pas terminé ? Mettons que Tacite venait d’en publier une partie. Je ne crois pas, réplique M. Courbaud. Vous n’en savez rien, dirons-nous ; mais alors supposons que Tacite avait prêté son manuscrit à Pline, « cet ami très cher, doublé d’un littérateur toujours aux aguets. » Nous n’en savons rien ; mais l’hypothèse est anodine. M. Courbaud ne l’accepte pas : c’est qu’il a son idée, qui n’est pas anodine. Pour refuser l’hypothèse anodine, il nous conjure de ne pas oublier que Pline le Jeune était vaniteux. Or, Pline le Jeune montre une extraordinaire « chaleur d’admiration. » Si Tacite lui a prêté le manuscrit des Histoires, ou d’une partie des Histoires, il faut que Pline prenne de l’enthousiasme tout seul, se fie à lui-même et n’ait pas soin de consulter l’opinion publique. C’est le fait d’un orgueilleux. Et Pline n’est pas orgueilleux : on vous dit qu’il est vaniteux ; c’est tout le contraire. Un orgueilleux se fie à lui-même ; un vaniteux réclame l’approbation générale. Donc, il faut qu’en l’année 106 les Histoires aient recueilli l’approbation générale. Comment cela, si elles n’étaient pas encore publiées ? Elles étaient lues en public : et nous y voilà !

C’est ingénieux, c’est matin, c’est amusant… C’est amusant de voir la critique la plus attentive, et scrupuleuse, et méticuleuse, et timide, et presque tremblante, aller à de telles dialectiques de sévère plaisanterie.

Pour démontrer que Tacite ait lu ses Histoires en public, il n’y a pas un document, pas un seul : il n’y a, en tout, qu’une argumentation qui ressemble à un badinage. Et du fait — supposé — que Tacite ait lu en public ses Histoires, dérive en très grande partie l’interprétation de Tacite selon M. Courbaud. Car il écrit : « J’attribue pour une part à cette fâcheuse habitude, — l’autre part étant imputable à la rhétorique, — ce que l’on y rencontre d’expressions recherchées, de tours raffinés, de pensées trop ingénieuses ou subtiles, de grâces trop étudiées, toutes choses qui sentent le désir de plaire, d’être admiré, d’amener les auditeurs à se récrier d’aise. Que dire notamment de ces phrases brillantes, polies et taillées à facettes, dont s’orne la fin de tel développement, de tel paragraphe ? N’entendons-nous pas les applaudissements qui les saluaient autrefois ? Et n’ont-elles pas l’air de quêter les nôtres encore aujourd’hui ? »

Non ; pas du tout !…

Ce passage de M. Courbaud, détachez-le du livre ; oubliez qu’on vous parle de Tacite, un instant… « Expressions recherchées, tours raffinés, pensées trop ingénieuses ou subtiles, grâces trop étudiées,…