avait des affiches, per libellos : et l’assistance était appelée, comme au théâtre, populus. Alors, il s’agissait de plaire au public. Et M. Courbaud n’a peut-être pas tort de croire que le désir de plaire au public est périlleux. Très périlleux pour l’historien, pour son histoire et pour la vérité. Le public et la vérité ne sont pas mieux accoutumés ensemble que l’éloquence et l’histoire. La vérité est nue, dit-on : mais, pour aller en public, on s’habille ; et, la vérité qui a fait toilette, ce n’est plus la vérité. Les Mérovingiens de Gabriel Monod, que seraient-ils devenus, à la Bodinière, autrefois ? Les subtiles coquetteries de Tacite, un style à surprises, et le reste, cela serait la conséquence des lectures.
Il s’agit de prouver que Tacite donnait de telles séances mondaines, élégantes, lisait un jour son Galba, la suite à la prochaine séance. Qu’un savons-nous ? Lucain lisait son épopée ; Sénèque, ses tragédies ; Velléius Paterculus, son histoire. Un jour, l’empereur Claude se promenait au Palatin ; dans une salle auprès de laquelle il passe, éclatent des applaudissements. Qu’est-ce ? On lui répond que Servilius Nonianus lit un de ses ouvrages. Il entre, il écoute, il applaudit. Bien ! Servilius Nonianus, Velléius Paterculus, Sénèque et Lucain lisaient leurs ouvrages : mais Tacite ? M. Courbaud n’en doute pas : « Tacite aurait-il donc, un des rares, échappé à la mode ? » Avouons-le, Tacite est rare. Mais il a probablement lu sa Vie d’Agricola… Qu’en savons-nous ? Pline le Jeune dit qu’on lisait volontiers les éloges des victimes de Domitien. « Or, confesse M. Courbaud, Agricola n’était peut-être pas mort empoisonné par le tyran (Tacite rapporte le bruit au chapitre 43 de sa biographie, sans le prendre à son compte) ; mais il était mort pour le moins suspect et en disgrâce. » Nous ne conclurons pas de là sans imprudence que la Vie d’Agricola soit l’un de ces éloges que Pline le Jeune dit qu’on lisait en public. Et, même si Tacite avait lu en public sa Vie d’Agricola, nous ne conclurions pas de là qu’il lût aussi les Histoires. Encore un argument ; — mais nous le compterons pour le premier, si les précédents ne valent rien : — le voici. Jusqu’à l’année 106 exactement, Pline le Jeune, dans ses lettres, ne dit pas un mot des Histoires. Soudain, l’année 106, il les admire, il les déclare « promises à l’éternité. » M. Courbaud, là-dessus, n’est pas tranquille. Pourquoi Pline le Jeune n’a-t-il rien dit des Histoires avant l’année 106 ? Eh ! bien, répondrons-nous, c’est qu’il ne les avait pas lues. Pourquoi en parle-t-il l’année 106 ? Eh ! bien, répondrons-nous, c’est qu’il les avait lues. Comment les avait-il lues ? Mettonque Tacite venait de les publier.