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comment expliquez-vous que les contemporains de Trajan, lisant Tacite et Pline l’Ancien, n’aient vu en ce Pline que le compilateur honnête qu’il a été, mais que Tacite les enchantait ? C’est que les Romains, au temps de Trajan, n’étaient curieux que de la forme ! Cependant vous dites que Tacite empruntait à l’Ancien la forme et l’expression ? Et vous dites aussi que l’Ancien n’était qu’un écrivain médiocre, Tacite un écrivain de génie ? « Voilà bien des contradictions, » remarque doucement M. Courbaud. Voilà bien de la chicane, en désordre fâcheux.

Il y a des analogies entre les règnes de Galba et d’Othon, dans les Histoires de Tacite et dans les biographies de Plutarque. On dira que c’est bien heureux : si les règnes de ces empereurs n’avaient aucune ressemblance dans Tacite et dans Plutarque, il faudrait se méfier de leurs deux historiens ou de l’un d’eux. Mais les analogies sont d’une telle sorte qu’on voudrait savoir si Tacite copiait Plutarque, ou Plutarque Tacite, ou l’un et l’autre un devancier. Or, Plutarque et Tacite sont des contemporains : l’on ne sait nullement si les Histoires ont paru avant ou après les biographies des deux empereurs. Dans l’incertitude, ne disons pas que Plutarque ait eu Tacite à copier. Ni M. Fabia ni M. Courbaud ne croient que Tacite ait recouru à Plutarque : « aurait-il songé à copier le récit d’un Grec qui, du reste, n’était pas un véritable historien, mais un biographe ? » Cet argument, s’il dégage Tacite de Plutarque, c’est un bon argument. Pourtant, il ne vaut pas grand’chose, on le reconnaîtra. Que Plutarque fût Grec, était-ce pour Tacite un empêchement à le lire ? Et, que Plutarque fût un historien véritable ou un biographe, s’il a diligemment raconté la vie des deux empereurs, Tacite a pu s’adresser à lui. Quant à supposer que Plutarque et Tacite copiaient tous les deux un même historien précédent, supposons-le tant qu’il nous plaira ; l’historien précédent est bien commode : il est perdu.

Au bout de travaux considérables et méticuleux, quel néant ! Et lisons quelques pages de Tacite : l’ « originalité » de cet écrivain n’est plus douteuse ; ni l’ancien Pline ou Sénèque, ni Salluste et ni même Virgile ne sont en rien pareils à lui. L’ « originalité » de cet historien n’est pas douteuse davantage : l’histoire de Tacite n’est pas celle de Salluste ni celle de Tite-Live ! elle serait plutôt celle de Salluste ? mais non, pas du tout !

L’histoire de Tacite, on dit aussi que ce n’est rien : Tacite ne serait qu’un merveilleux artiste et, moins l’artiste, dit Faguet, « presque n’importe qui, unus e multis… » Il y a quelquefois, dans les