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près les cercles officiels. Mariée en 1906 avec un gentilhomme hongrois, le comte Leutrum, elle continua de surprendre, sans le vouloir, bien des propos, de recueillir bien des observations. Et elle venait de s’installer à Munich quand la guerre éclata. En Russie, en Autriche, en Allemagne, sans parler d’un long séjour en Italie, la comtesse Olga Leutrum a vécu, comme elle dit, « dans une atmosphère saturée de politique internationale ; » elle a vu « les deux faces du bouclier, » et les souvenirs qu’elle vient d’écrire tirent leur principal intérêt du témoignage qu’ils nous apportent sur les sentiments en cours avant la guerre dans les hautes sphères diplomatiques des divers États. Par-là, il éclaire, à son tour, les causes de la grande conflagration. C’est un nouvel aveu touchant la responsabilité des cours d’Autriche et d’Allemagne dans la préparation et la déclaration de la guerre. A cet égard, il ne peut nous apprendre rien de nouveau ; mais il illustre de vives images et, en quelque sorte, d’instantanés pris sur le vif dans des milieux dirigeants où l’observation impartiale ne pénètre guère, la duplicité et la préméditation de la politique austro-allemande.

Il y a quelque chose de tragique dans cette résistance inconsciente d’un témoin qui essayait de se dérober à l’évidence et ne voulait pas croire ce qui lui paraissait trop redoutable. Quand le drame, dont elle avait vu les préparatifs, éclate enfin, la comtesse Leutrum se demande comment elle avait pu se soustraire à l’obsession de la menace, persister dans l’illusion et dans l’espérance. Tout était si clair depuis la Conférence de la Haye ! Le baron de Staal, ambassadeur de Russie à Londres, qui la présidait, en sa double qualité de doyen d’âge et de représentant du pays qui avait pris l’initiative, était vite passé de l’enthousiasme à l’indignation. Un jour qu’il se trouvait seul dans le salon de la comtesse Okoliczanyi, il avait laissé voir sa déception en même temps que ses craintes. L’Allemagne cachait son jeu, se dérobait, parlait de la paix armée, de la nécessité où se trouvait l’Autriche, avec ses nationalités différentes, d’entretenir une armée commune pour fondre tous ces éléments divers, bref, laissait aux autres le privilège de désarmer. Et regardant la jeune fille, que ces propos déconcertaient, il avait conclu : « L’enfant écarquille les yeux et, si je suis mauvais prophète, je lui permets de dire plus tard : « Le