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Entendez nos soldats… Une patrouille est nécessaire, d’où peut-être l’on ne reviendra pas : « Quand il faut, il faut… » Verdun réclame, pour notre salut, un immense holocauste : « Quand il faut, il faut… » Le séjour aux tranchées s’aggrave des duretés d’un quatrième hiver : « Quand il faut, il faut… » L’Orient les appelle, ou l’Italie. Ce n’est même pas dans leur patrie qu’ils vont tomber pour elle. « Quand il faut, il faut ! »

Mots tout pauvres et dépouillés mais qui traduisent, mieux que toutes les formules des philosophes, le caractère impérieux et comme implacable du devoir ! Admirable vertu d’un peuple qui ne parlait, à qui l’on ne parlait le plus souvent que de ses droits et qui, face au devoir, le mesure d’un œil calme pour l’accepter tout entier.

Ne prêtez pas, d’ailleurs, à cette acceptation totale, surtout chez les plus âgés, une sorte de ferveur joyeuse qui ajoute à son éclat sans pouvoir augmenter sa beauté. Ce ne sont pas des surhommes et c’est bien plus beau. Ils connaissent tous les déchirements et tous les risques que comporte leur fidélité et que leur mort peut venir la sceller. Et Néarque disait : « Dieu même a craint la mort ! » Mais ce n’est pas en vain que, durant des siècles, dans cet admirable sanctuaire des vertus nécessaires que fut la famille française, les pères et les mères ont patiemment formé les enfants à faire toujours « ce qu’il faut… » Le long atavisme n’a pas épuisé sa vigueur et si parfois, aux heures molles, de faciles excuses ont permis d’esquiver les devoirs moyens, quand la destinée nous prend par les épaules et nous maintient face à face avec les plus grands devoirs, c’est toujours le même « fiat » qui accueille le sacrifice et lui assure sa souveraine grandeur…


Ce sentiment du devoir que dresse, devant nous, la vie de "notre armée, n’est qu’un premier sommet dans une chaîne de grandeurs. Près de lui s’élève le sens de l’honneur.

L’honneur, disait Vigny, c’est « la conscience exaltée[1]. » Il apparaît, chez nos soldats, comme la fleur magnifique du devoir.

Il entre, pour eux, dans ce sentiment, l’orgueil d’être mêlé

  1. A. de Vigny.