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plusieurs reprises, les prisonnières furent vaccinées sous son contrôle. Quand elles le furent contre la fièvre typhoïde, — trois fois de suite à huit jours d’intervalle, — le coup de lancette fut donné, non dans le dos, ainsi que cela se pratique généralement, mais au sein, ce qui, pour les patientes, fut extrêmement douloureux.


Les journées passaient toutes semblables dans leur cruelle monotonie : « D’événements importants, dit Mme V… d’épisodes dramatiques propres à frapper l’imagination, je n’en revois aucun. Du temps de ma détention je n’ai gardé que le souvenir d’une souffrance continue : souffrance morale causée par l’ignorance où j’étais du sort des miens ; souffrance physique causée par la faim, le manque de sommeil… » Sauf le matin, où les otages avaient la consolation d’entendre la messe que célébrait dans une baraque transformée en chapelle, un prisonnier, les heures se traînaient inutiles et lentes. Les « otages » avaient l’autorisation, — on ne peut dire de se promener, — mais de circuler dans l’étroit passage laissé libre entre les baraques de leur camp. Dans les premiers mois, cela même leur fut impossible. Le temps demeura constamment épouvantable : neige, verglas.

Quand le ciel s’adoucit, le dégel transforma le sol en un cloaque où l’on enfonçait jusqu’au-dessus de la cheville : « à tel point que les Allemands finirent par installer un chemin de planches pour nous permettre d’aller à la fontaine et à la chapelle ; sur ces planches, nous sabotions à qui mieux mieux. Nos chaussures s’étant usées, nous n’avions trouvé à les remplacer que par des sabots. » Certaines prisonnières, prises au dépourvu, avaient emporté d’élégantes toilettes, et c’était un spectacle lamentable, dans cette plaine de boue, que de les voir vêtues de manteaux de soie ou de velours et grossièrement chaussées à la manière des paysannes.

Une cantine était bien ouverte aux prisonnières, mais au comptoir tenu par une lourde Gretchen, on ne trouvait que des inutilités : des babioles, des bibelots : vases en porcelaine enluminée de filets d’or et autres « petites horreurs » qui étaient offertes aux otages à prix exorbitant, « comme souvenir du camp ! » « Afin de tromper la longueur des journées, nous essayions de travailler ; malheureusement, au bout de quelques