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wagons de troisième classe. Le train glisse doucement sur les rails ; il part. Les « otages » disparaissent. Leur voyage s’effectue avec lenteur. Plusieurs fois par heure, tant qu’on est en pays occupé, le convoi stoppe, pour prendre, au passage, soit dans les villes, soit dans de simples villages, les « otages » désignées pour les « camps de représailles » et qui ont été groupées par région. A Lille, notamment, arrivent une centaine de dames enlevées à Roubaix, à Valenciennes, à Saint-Amand, à Orchies. En attendant leur départ définitif, elles sont internées dans les abominables casemates de la caserne : ’ « Douze Lilloises ont été choisies, raconte Mme C… et je suis du nombre. Nous avons reçu l’ordre d’être à la gare à six heures du matin, heure allemande. Nous nous y rendons munies de petites lanternes électriques. » Dans le jour qui commence à peine à percer les ténèbres cette marche a quelque chose de lugubre. « Mgr Charost arrive à la gare presque en même temps que nous. Il voudrait s’approcher, nous adresser quelques paroles, mais les Allemands l’en empêchent avec grossièreté. Il peut seulement nous bénir de loin. Les Allemands le forcent à s’éloigner. », Le capitaine Himmel, tristement célèbre par la part qu’il a prise aux enlèvements de jeunes filles, préside au départ des otages que tout d’abord on fait monter dans des compartiments de seconde classe. Bien curieux l’aspect de ceux-ci. Tout ce qui est utilisable et n’est pas indispensable y a été supprimé : les filets pour les bagages à main, les rideaux, le drap qui garnissait banquettes et parois et qui a été transformé, dit-on, en guêtres pour les soldats allemands : « Au bout d’une heure, quand tout le monde nous supposa parties, on nous fit descendre, et monter en « troisièmes. » Impossible aux prisonnières de songer à s’évader. Si dans certaines parties du convoi, un seul soldat garde deux compartiments, dans d’autres, notamment dans les wagons occupés par les otages de la région flamande, il y a deux soldats armés d’un fusil chargé, baïonnette au canon et revolver au flanc, par compartiment. « Toutes nous étions courageuses et bien que notre angoisse fut grande de savoir où l’on nous emmenait, pas une seule de nous ne s’est plainte. »

La nuit vient. Les soldats redoublent de surveillance. Ceux qui ont la garde de deux compartiments, viennent tous les quarts d’heure compter leurs prisonnières. L’aube se lève tard