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Les victimes préparent leur départ. Protestations, récriminations, supplications seraient inutiles. On n’attendrit pas des gens résolus à tout et qui croient excuser les pires infamies en répondant : C’est l’ordre !

« Le commandant de place avait, primitivement, désigné douze hommes et douze femmes. Finalement, on ne prit que six hommes et six femmes. Les hommes partirent les premiers, le 6 janvier 1918 ; le départ des femmes eut lieu le 12. » Il faisait, ce jour-là, un temps glacial. Sur la neige durcie par le gel, une nouvelle couche de neige allait s’amoncelant. Péniblement, Mme V… descend les pentes rapides de la colline qui conduisent à la gare ; son mari l’accompagne. Les « otages » ont été autorisées à emporter cinquante kilos de gros bagages ; mais toutes, en outre, sont chargées de colis à main. Il leur a été recommandé de se munir de provisions pour plusieurs jours : « J’avais pris ma part de ravitaillement américain, dit Mme V… : du riz, une boîte de lait condensé, une boite de conserves et la portion de pain à laquelle j’avais droit pour trois jours… »

Les « otages » ont été convoquées pour onze heures. Elles se retrouvent sur le quai de la gare. Parmi elles, une jeune fille de vingt ans que les Allemands ont arrachée à sa famille. Aucune d’elles ne sait où on va les emmener ni pour combien de temps. Les Allemands ne sont pas seulement cruels avec brutalité : ils le sont, avec raffinement ; ils n’y mettent pas seulement de la grossièreté, ils y trouvent du plaisir. Il y a du sadisme dans leur cas : c’est là qu’il faut toujours en revenir.

Devant les groupes formés par les victimes et les membres de leur famille, des officiers allemands passent et repassent, un gros cigare aux lèvres, parlant et riant haut et, sur le cuir de leurs bottes, faisant claquer leur cravache. C’est une joie, une jubilation qu’ils ne cherchent pas à dissimuler…

Deux heures. L’instant suprême est arrivé ; mais si les Allemands ont escompté comme un divertissement le spectacle de la douleur de leurs victimes, grande est leur déception : pas de larmes dans les yeux de celles qui partent, pas d’exclamations de désespoir, nul geste de colère chez ceux qui restent. L’attitude des Laonnois n’est que de calme, de dignité.


« Les wagons où l’on fait monter les captives sont des