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Accepte-les et prends aussi ces pommes rondes,
Ces grappes et ces fruits que j’ai peints de mon mieux,
Car leur contour pour moi fut la forme du monde
Et toute la lumière éternelle est en eux. »


PAUL GAUGUIN


Je vous revois tel que vous étiez, PAUL GAUGUIN,
Le torse large sous votre tricot marin,
Face rude sculptée avec un doigt robuste
Dans une chair puissante, impérieuse et fruste
Où coulait sous la peau le sang de vos aïeux
Incas. Je vous revois, Gauguin, je vois vos yeux
Qui semblaient regarder très loin vers quelque rêve
Où déferlait la mer au sable d’une grève.
Vous étiez fort, massif, osseux, tanné, pesant,
Gauguin, moitié pilote et moitié paysan,
Et vous parliez, d’une voix rauque, avec des pauses,
Puis tout à coup, et les paupières demi-closes,
Vous vous taisiez. Alors : récifs, clartés, parfums,
S’évoquait l’Ile avec ses femmes aux corps bruns
En leur jeune beauté naïve et sculpturale,
Tahiti la divine et sa lumière australe ;
Vous vous taisiez, et l’on croyait alors soudain
Entendre déferler au rivage lointain
De l’Ile heureuse que votre art a faite sienne
Ton flot phosphorescent, Mer Océanienne…


JOHANN-BARTHOLD JONGKIND


Que l’un peigne les champs, la prairie ou la lande
Avec leurs ciels divers et leurs clairs horizons,
Et, selon ses clartés, ses lignes, ses saisons,
La campagne bretonne ou la côte normande ;

Que tel autre obéisse à son œil qui demande
La ville avec ses hauts clochers et ses maisons, —
Rien n’est plus beau pour vous, Jongkind, avec raison,
Que quelque lent canal de la verte Hollande.