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croix et deux couronnes : La commune du Bourget à son défenseur ; Mme veuve de Neuville : Au commandant Brasseur. Le tableau d’Herkomer : invalides âgés, têtes de notaires rasés ou de vieux reitres, joues défoncées. Des croix. Les plus jeunes sont des blessés du Tonkin. Défilé. Vieux invalides au coupe-chou bénin. Deux petits tambours, fils ou petits fils d’invalides. Il y en avait seize ; il n’y en a plus que six. Corbillard des pauvres. Les tambours voilés roulent. Devant la grille le gouverneur (les deux bras emportés, remplacés par deux bras de bois gantés de blanc) rappelle les hauts faits du héros, dit qu’il donnera à une salle le nom de Brasseur, et termine : « Commandant ! vous avez bien mérité de la patrie ! »

Farcy, avec ses insignes de député, demande à dire un mot. Le gouverneur le prie de parler au cimetière Montmartre : « Nous ne serons pas là. Je vous le demande. » Quelques soldats foui cortège au pauvre corbillard. Dans la foule où l’on a crié : « Vive la France ! » quelqu’un dit :

— Pour un commandant, ce n’est pas chic !

Un vieil officier invalide disait :

— Il ne demandait rien. Il trouvait que, si l’on voulait ne pas l’oublier, c’était à d’autres de se souvenir !

Un ancien franc-tireur, décoré, me prie de dire que ce n’est pas un clairon de mobiles (ou de francs-tireurs), mais de grenadiers, qui a sonné : Cessez le feu !

— « Cela nous touche beaucoup. »

Sous les arbres défeuillés de l’esplanade, des pantalons rouges pour l’exercice, tandis que la dépouille du héros s’en va lentement du côté de Montmartre.

Oh ! ces post-scriptums de la gloire ! J’avais lu, tout à l’heure, sur un des piliers de l’Hôtel, une affiche avec ces mots : Vente des effets des décédés. Et la petite croix de bois noir portant : Ici gît Jean-Eugène Brasseur était appuyée contre une autre : Ici gît Derrin, caporal des Invalides.

Le commandant Brasseur avait soixante-six ans. C’était, me dit le docteur Mary Durand, le plus intelligent des officiers de l’Hôtel.

A noter, les invalides avec leurs buffleteries blanches, leurs jambes de bois ou leurs mouvements ataxiques, faisant la haie des deux côtés du corbillard.