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la réalisation de leur grand dessein. Un jour, la presse fut même invitée à modérer l’expression de ses sympathies pour cet homme d’État… Celui-ci n’en restait pas moins, dans l’imagination populaire, le « sauveur » élu pour rendre la France à sa véritable destinée qui, comme chacun le sait en Allemagne, est de s’unir aux Germains contre les Anglo-Saxons. Son arrestation compromet ce plan merveilleux ; mais il est tout de suite entendu que c’est là une simple anicroche : une « nouvelle affaire Dreyfus » va commencer en France, Clemenceau y perdra le pouvoir, son successeur délivrera Caillaux, et la France finira par demander la paix.


BREST-LITOWSK

Qu’importe d’ailleurs ce qui se passe à Londres, à Jérusalem et même à Paris ? Quelques nuages peuvent encore obscurcir le ciel. L’orage est passé. L’horizon s’est brusquement éclairci du côté de l’Est. Tous les regards sont fixés sur Brest-Litowsk.

Les lenteurs et les difficultés des négociations causent une première déception. Mais en voici une seconde : la presse est muette. Après avoir sagement recommandé le calme et le sang-froid, elle se tait maintenant sur la marche des pourparlers, et, — ce qui est plus grave, — sur les intentions du gouvernement. Celui-ci désire sans doute envelopper d’un certain mystère les singulières tractations qu’il a entamées avec une bande de révolutionnaires. Mais son silence a une autre raison que le public a vite fait de deviner : le gouvernement est lui-même divisé par de profonds dissentiments.

Les deux partis qui s’affrontent depuis la fin de 1915 se livrent une suprême bataille, — bataille entre les tenants d’une « paix générale » et ceux d’une « paix séparée, » entre les partisans du pouvoir civil et ceux de la dictature militaire, entre Kühlmann et Hindenburg.

Au début des négociations germano-russes, une foule de naïfs s’étaient imaginé que la France et l’Angleterre allaient répondre à l’appel de Trotzki et s’asseoir autour de la table de Brest-Litowsk : l’immense déception que causa le discours de M. Pichon du 27 décembre, prouve qu’il y eut beaucoup d’Allemands à nourrir cette illusion. La « paix générale » a toutefois