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nation américaine, sa marine et ses milices. Un seul mot, toujours le même, le mot de bluff, servait à qualifier les démarches du Président et l’attitude des États-Unis. L’Allemand se vante d’avoir inventé la « psychologie des peuples : » c’est possible, mais, assurément, il ne l’a pas perfectionnée.

La décision de l’Italie était prévue depuis quelque temps. Elle ne fut pour personne une surprise. Elle déchaîna cependant en Allemagne des flots d’indignation. Voici ce qu’écrit, le 28 mai 1915, dans la Tæglische Rundchau, le général en retraite Keim, un des apôtres du mouvement pangermaniste :


Dix siècles avant que n’existât un peuple allemand, l’histoire nous parle déjà d’un furor teutonicus qui épouvantait l’Italie d’alors. C’était l’esprit du sabre germanique, la joie de combattre qui firent de nos ancêtres la terreur des Romains… Il faut que nos ennemis sachent que la sainte colère des Allemands est plus puissante encore que le furor teutonicus d’autrefois, cette sainte colère qui se rallume aujourd’hui contre le peuple qui fut, il y a dix siècles, le premier à en ressentir les effets.


Un grand journal allemand ayant prétendu qu’à Vienne la trahison de l’Italie excitait moins la haine que « la douleur, » le général Keim en est scandalisé :


Si, en pareille occurrence, on n’éprouve pas une sainte colère, si l’on veut considérer les événements avec émotion et avec des larmes, on se prépare fort mal à un combat de vie ou de mort. Il me semble donc que notre devoir est de combattre de la façon la plus énergique cette dialectique falote qui se sert des mots : chevaleresque, humanité, politique de culture, etc… mots qui vraiment ne correspondent pas du tout à la dure et sanglante réalité… Il ne peut y avoir dorénavant à Vienne, à Berlin, à Constantinople qu’une seule et unique volonté : écraser sans pitié notre nouvel ennemi pour le rayer au plus tôt de la liste de nos adversaires. La guerre avec l’Italie doit tendre à un but unique : lui infliger de telles défaites qu’il en résulte une révolution…


Cette révolution, tout le monde la croit imminente, certitude qui console de l’ « infâme trahison. » En attendant, on couvre d’insultes quelques Italiens dont la germanophobie est notoire, et, plus que tous les autres, Gabriele d’Annunzio, ce « faiseur de dettes, » ce « banqueroutier fuyard, » ce « polichinelle politique. »